Rond-Point Conférences Historiens et histoires nationales Histoire nationale et formation du futur citoyen — Choix éducatifs et enseignement de l'histoire nationale


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Pédagogie, histoire nationale (au Québec) et éducation civique

En 1975, nous étions en train de faire le bilan de l'expérience de l'enseignement du cours d'histoire nationale qui avait été intitulé (après un long débat et pour satisfaire les susceptibilités culturelles) « Nouvelle-France, Canada et Québec ». Comme directeur de l'enseignement de sciences de l'homme au ministère de l'Éducation, j'avais demandé à André Lefebvre, professeur titulaire à la Faculté des sciences de l'éducation à l'Université de Montréal, de réfléchir sur ce programme d'histoire nationale. Il me soumit un rapport à l'automne 1976. Ce document de travail de 300 pages portait sur « Une histoire nationale pour l'élève du secondaire. » Comme on pouvait s'y attendre, ce document n'a jamais pu être utilisé, discuté et encore moins diffusé, car l'élection de 1976 porta un nouveau gouvernement au pouvoir et le ministre nommé à l'éducation, monsieur Jacques-Yvan Morin, crut bon lancer une opération de « renouveau pédagogique » en présidant lui-même des audiences publiques sur l'éducation. Il a fallu attendre les nouveaux programmes promis. Entre-temps, on ne s'est jamais demandé pourquoi tant d'efforts, entre 1969 et 1977, ont-ils pu être gaspillés sur l'hôtel de la raison technocratique et politicienne. Faudrait-il croire que Valéry a vu juste encore une fois lorsqu'il a écrit : « Plus les intérêts en jeu sont importants, plus pressante est la demande, et moins le loisir et le calme de la réflexion sont accordées aux personnes qui semblent être qualifiées pour s'en occuper. [27] »

Ce travail, réalisé par le professeur André Lefebvre, traite d'une manière exhaustive de « l'histoire (nationale) en procès dans l'enseignement secondaire » [28]. Les titres de la table des matières de son rapport sont à la fois évocateurs et significatifs. Dressons-en la liste brièvement.

  1. L'élève d'histoire nationale et le passé national
  2. L'élève d'histoire nationale et le présent national
  3. L'élève d'histoire nationale, le passé et le présent
  4. Une histoire du présent national pour l'élève du secondaire
  5. Une histoire du passé national « à travers les réalités contemporaines » pour l'élève du secondaire
  6. Une histoire du futur national pour l'élève du secondaire
  7. L'histoire nationale pour l'élève du secondaire, « science des hommes (d'ici) dans le temps »
  8. Le programme d'histoire nationale de l'élève du secondaire
  9. L'évaluation dans l'enseignement de l'histoire nationale
  10. 'enseignant d'histoire nationale

Toute cette réflexion est demeurée depuis sur les tablettes du ministère de l'Éducation. La page était tournée. On effaçait, puis on recommençait comme si les élèves n'étaient plus les mêmes et comme si les enseignants devenaient de « nouveaux » enseignants. La terre recommençait à tourner ! De nouveaux programmes qu'on s'apprêtait à refaire ont été à leur tour révisés plus tard et ils le seront à nouveau dans les mois à venir pour « prendre le virage du succès ».

Parmi les principales conclusions du travail de Lefebvre, il en est une qui se rapporte à la conscience historique, la conscience sociale et la conscience nationale. Le lecteur pourra remarquer à la lecture de la citation qui suivra, les nuances que Lefebvre apporte au sujet des buts de l'enseignement de l'histoire.

Certes, sans véhiculer toute l'histoire, l'enseignement de l'histoire est histoire, et l'élève est historien même sans posséder la maîtrise de qui fait métier d'historien. L'enseignement de l'histoire est histoire puisque, même s'il arrive à l'enseignant d'y faire obstacle, l'enseignement vise à aider l'élève à se donner lui-même un certain savoir historique, et d'abord, et surtout, à le mettre à même de pratiquer la démarche permettant d'approcher l'histoire. Il reste, toutefois, que l'école n'est pas un département d'histoire universitaire et que l'enseignant d'histoire a d'abord comme mission d'aider à former des hommes et des citoyens. Lorsqu'on parle d'histoire à l'école, on n'est pas que sur le plan de la science : on est aussi sur le plan de l'éducation. C'est en ce sens que des historiens affirment que l'histoire, à l'école, « sans être un instrument de prédication ou de propagande, peut en même temps avoir une valeur éducative ». Et il est sans doute faux de prétendre que « le civisme, le patriotisme, la compréhension nationale et internationale ne peuvent en aucune façon être assignés comme buts de l'enseignement de l'histoire ». Certes, le civisme, le patriotisme, la compréhension nationale et internationale ne sont pas des buts de l'histoire, qui, comme toute science, vise la seule connaissance du réel, mais ils peuvent et doivent être des buts de l'enseignement de l'histoire à l'école. [29]

Au fond, Lefebvre reconnaît l'importance des dimensions I, IV et V de l'acte pédagogique ; implicitement, il considère aussi les deux autres dimensions (soit II et III) en ce qui concerne le savoir historique et les démarches scientifiques. C'est l'équilibre à établir dans la pratique de l'enseignement même qui exige du maître de la souplesse et de la cohérence en fonction de ce qu'il a à enseigner.


  1. Oeuvres I, Paris, Gallimard, 1957, p. 1142 (coll. « Bibliothèque de la Pléiade »).
  2. Dans Une histoire nationale pour l'élève du secondaire. Document de travail présenté à monsieur Bruno Deshaies, directeur de l'enseignement des sciences de l'homme au ministère de l'Éducation du Québec, 1976, 299 p. Un peu plus de vingt ans plus tard, l'essentiel de ce rapport peut être retrouvé, dans A. Lefebvre, De l'enseignement de l'histoire, Montréal, Guérin, 1995, 206 p. (coll. « Bibliothèque d'histoire »). Il ne semble pas que les choses aient singulièrement changé depuis ce temps.
  3. De l'enseignement de l'histoire, Montréal, Guérin, 1995, p. 164-165.

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