Auteur Écrits Comptes rendus Les choses comme elles étaient. Une autobiographie politique.


Les choses comme elles étaient. Une autobiographie politique.

Claude Morin

Pourquoi Claude Morin a-t-il entretenu des rapports avec la GRC durant la période où il a été sous-ministre, puis membre du Parti Québécois et enfin ministre dans le gouvernement Lévesque ?


La lecture de cet ouvrage brûlera les lèvres du lecteur jusqu'au chapitre 17 d'un ouvrage qui en comprend 24. Or ce que monsieur-tout-le-monde voulait savoir, c'est pourquoi Claude Morin a-t-il entretenu des rapports avec la GRC durant la période où il a été sous-ministre, puis membre du Parti Québécois et enfin ministre dans le gouvernement Lévesque. Malgré les promesses de Claude Morin, ce livre ne fournit aucune explication valable concernant ces événements troubles de sa carrière.

L'autocritique est un art difficile. Or la technique d'enquête autobiographique s'y oppose radicalement.

Pourquoi diable, alors, Claude Morin a-t-il tenu à écrire un tel livre? Et pourquoi serions-nous intéressés à le lire? Il y a bien le personnage, les fonctions diverses qu'il a occupées au Québec, sa position concernant la souveraineté et l'idée de référendum, sa campagne électorale contre Jean Marchand en 1976, sa famille, ses fonctions de professeur, son rapport à l'État, son intérêt pour la coopération France-Québec, ses rapports avec de nombreux premiers ministres, en commençant avec Jean Lesage, mais encore? Les relations intergouvernementales du Québec, bien sûr ! Mais doit-on écrire, pompeusement, comme sous-titre: Une autobiographie politique afin de justifier une carrière politique qui se termine dans la confusion la plus épaisse?

L'autocritique est un art difficile. Or la technique d'enquête autobiographique s'y oppose radicalement. Et que dire, par-dessus le marché, si l'auteur la qualifie par l'épithète de politique! On nage près de l'irréel, de l'inconscient, du subconscient, bref des mécanismes de projections et d'autodéfense psychologique (cf. tout le chap. 21). Si cette catharsis peut servir à son auteur, pourquoi pas? Si c'est pour vouloir nous éclairer sur sa conduite personnelle et, implicitement, pour se justifier aux yeux de l'opinion publique, c'était le pire chemin à prendre. «Faute avouée, comme disait ma mère, péché à moitié pardonné!» Ce n'est pas le cas dans ce livre. Et pour poursuivre sous le mode des raisonnements proverbiaux (cf. p. 360), mais en y ajoutant une touche moralisatrice : «Que celui qui est sans péché lui lance la première pierre.» Et la Bible de nous raconter que les plus vieux partirent les premiers !

Quant au contenu du livre lui-même, si l'on oublie un tant soit peu le politicien qu'il a été, on y découvre un court récit de son enfance à Montmorency, ses études secondaires et universitaires, son voyage en Europe, son intérêt pour la géographie et l'exotisme, ses liens avec les étudiants de l'École des sciences sociales du Père Lévesque à l'Université Laval, son séjour et ses rencontres aux États-Unis, bref tout ce qui est le plus normal d'une enfance et d'une jeunesse comme les autres. Rien là ! comme dirait l'autre. Rétrospectivement, le sphinx de Louis-Hébert nous fait part de réflexions personnelles sur ce qu'il a été, ce qu'il aurait aimé faire et ce qu'il aurait dû faire parfois. Il nous offre aussi une analyse assez juste de la mentalité péquiste et de ses déchirements idéologiques dans les chapitres 13, 14 et 16.

De son expérience et de ses apprentissages, il tente de nous faire partager sa connaissance des hommes, des choses, de la société, des amis, du peuple québécois et, bien sûr, de la politique. Dans l'ensemble, un travail réussi. Mais arrêtons-nous, un instant, sur le volet politique.

Credo politique : savoir mentir? Dans l'hypothèse où l'on peut mentir «par omission, en voilant une partie de la réalité» ou encore « en taire une partie sous prétexte qu'on se borne à l'essentiel (p. 484)», qu'arrive-t-il alors? Il peut arriver que parce qu'on n'a pas vécu certains événements, on ne les considère pas importants et que l'on fasse commencer l'histoire avec soi-même. C'est, il me semble, le cas de la francophonie et de la coopération France-Québec où des acteurs comme Georges-Émile Lapalme, Guy Frégault et Pierre Laporte sont des «incontournables.»

A cet égard, on a souvent l'impression en lisant Claude Morin qu'il a été l'architecte principal de cette orientation globale du gouvernement du Québec. Le lecteur qui voudrait mieux comprendre cet épisode de l'histoire du Québec, au commencement de la «Révolution tranquille», pourrait consulter avec profit le livre de Guy Frégault, Chronique des années perdues (Montréal, Leméac, 1976)

Lorsqu'un peuple veut secouer le joug d'un régime constitutionnel dans lequel il est partie prenante pour accéder à sa souveraineté et à son indépendance, il ne fait plus un combat dans le régime, mais sur le régime.

Et j'en arrive à ce qui m'agace le plus avec Claude Morin, c'est son analyse du fédéralisme canadien (voir le chap. 14: «Les mauvaises raisons»). Reconnaissant que les conceptions des Québécois francophones et des Canadiens anglais sont diamétralement opposées au sujet du régime, il admet, d'une part, «que les tensions et conflits entre le Québec et le reste du Canada se trouvèrent «programmés» dans le code génétique du régime (p. 276)» et, d'autre part, il affirme: «Le fédéralisme n'est pas à l'origine [pour le Québec] de tous ses problèmes (p. 285).» Du problème constitutionnel : OUI; de tous les maux sociaux du Québec : NON. Par essence, tout fédéralisme est centralisateur et, partant, radicalement oppressif pour tout État minoritaire dans n'importe quelle fédération; par accident, il peut devenir dominateur et autoritaire, comme en octobre 1970, avec l'adoption et l'application sans vergogne de la loi des mesures de guerre.

Lorsqu'un peuple veut secouer le joug d'un régime constitutionnel dans lequel il est partie prenante pour accéder à sa souveraineté et à son indépendance, il ne fait plus un combat dans le régime, mais sur le régime. Cette nuance est capitale en terme de compréhension des gestes et des actions à entreprendre, politiquement, par les politiciennes et les politiciens qui défendent une telle cause. Puisqu'on change de registre, il ne suffit plus de combattre l'assimilation par le fédéralisme, de condamner les intrusions illégales du fédéral, de se plaindre d'être la vache à lait du Canada, de protester contre le fardeau des dédoublements et des chevauchements ou, encore, d'éliminer la «comitose» fédérale-provinciale et «les millions des canons» (voir les p. 274-284). Ce point me paraît bien compris par Claude Morin. Cependant, son interprétation du régime constitutionnel de 1867 me laisse songeur et encore plus son jugement sur «Vive le Québec libre!» de de Gaulle qu'il assimile à «un écho comme celui du Big Bang encore perceptible sous les voûtes de l'univers; il renseigne plus sur le passé qu'il ne préfigure l'avenir (p. 412).»

À la veille d'un autre référendum, les Québécoises et les Québécois doivent savoir qu'il ne s'agit plus d'un débat dans le régime, mais plutôt d'un débat sur le régime, c'est-à-dire d'une rupture quant au statu quo, ou plutôt au statut constitutionnel du Québec. L'expression «Finies les folies» de Trudeau prend une toute autre direction maintenant pour le peuple québécois. Dommage que ce dernier livre de Morin n'ait pas donné tout l'éclairage nécessaire sur les services secrets du Canada et de leur maladie de sécurité nationale qui frise la paranoïa.

Bruno Deshaies
Québec, 7 novembre 1994
Version légèrement remaniée : 13 septembre 1997.


SOURCE :  Les choses comme elles étaient. Une autobiographie politique. Québec, Éd. Boréal, 1994. 495 p.

Quelques publications de Claude Morin

  1. Mes premiers ministres: Lesage, Jonhson, Bertrand, Bourassa et Lévesque. s.l., Éd. Boréal. 1991, 632 p.
  2. Les lendemains piégés. Du référendum à la « nuit des grands couteaux ». s.l., Éd. Boréal, 1988, 398 p.
  3. L'art du possible. Une diplomatie québécoise depuis 1960. s.l., Éd. Boréal, 1987.

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