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Réforme scolaire

La problématique des études et l'école1

C'est un livre à lire avec attention. Il nous apprend plus qu'il ne peut nous en paraître au premier abord. Une relecture sur un point ou sur un autre démontre qu'Antoine Prost possède bien son sujet, soit l'école, les pédagogues, la pédagogie ou les problèmes inhérents au fonctionnement d'un système scolaire. Il s'agit de l'oeuvre d'un historien de l'éducation et de la famille.

Ces travaux d'historien sur les questions actuelles en éducation sont plutôt rares. Raison de plus pour en prendre acte. Bien sûr, son analyse porte sur le monde scolaire français. Mais combien d'idées pénétrantes et sous-jacentes éclaireraient notre situation scolaire au Québec, mutatis mutandis.

Les six premiers chapitres constituent des analyses mêlées de réflexions sur l'éducation, l'école et la société. Les trois derniers chapitres soulèvent des problèmes d'une très grande actualité : l'enseignement professionnel, la formation des professeurs et la recherche en éducation. Mais l'ensemble de l'ouvrage repose sur l'idée centrale qu'il faut redonner à «la problématique des études» tout le poids nécessaire si l'on veut voir apparaître des perspectives fécondes pour l'école (p. 22-26). D'où le chapitre 4 intitulé : «Les études d'abord».

Les études d'abord, c'est avant tout l'élève en tant qu'il apprend. Cette problématique des études vient conditionner à la fois l'enseignement et la vie scolaire. Sur ce point, le raisonnement d'Antoine Prost peut se résumer ainsi. Un enseignement qui se limite à transmettre des savoirs réduit l'élève «à un réceptacle passif de savoirs exposés devant lui» (p. 24). Donc, l'élève est ignoré. D'un autre côté, une vie scolaire qui prend en charge l'élève pour le satisfaire en tant que sujet de besoins, de désirs et d'émotions en ignorant les savoirs, ne vise pas à transformer les attitudes et les conceptions pédagogiques des enseignants. Les uns et les autres sont opposés «stupidement».

De manière à dépasser cette problématique à deux volets, Antoine Prost demande qu'on s'interroge sur «ce que les élèves apprennent, et comment ils l'apprennent» (p. 89). Ce qui nous introduit dans l'école et dans les classes. Puisque l'élève a un travail à faire à l'école, alors comment organiser ce travail de l'élève. Et nous voilà plongés dans le concret de l'école. Au Québec, justement, le C.S.E. a attiré l'attention du monde scolaire sur cette question (voir son Avis de 1982 intitulé : «Vivre à l'école secondaire : un printemps d'embâcles et d'espoirs»). Ce débat mériterait d'être repris en profondeur. L'esquive n'est pas la meilleure attitude pour affronter des problèmes. Elle finit par trop ressembler à la politique de l'autruche.

Revenons aux problèmes d'actualité. Antoine Prost aborde le secteur de l'enseignement professionnel (chap. 7), la formation des professeurs (chap. 8) et les recherches en éducation (chap. 9). Pour le premier contentieux scolaire il se pose la question : «Faut-il développer l'enseignement professionnel? Il suggère comme solutions de maintenir en transformant (p. 167-169) et de développer en dehors des rigidités de la forme scolaire (p. 169-173). Cependant, il constate que «la France est pratiquement le seul pays du monde à avoir autant développé l'enseignement professionnel et technique. Ce premier constat invite à la réflexion» (p. 157). Motif : «Il s'agit d'éviter l'encombrement des études qui conduisent aux fonctions dirigeantes» (p. 160). Ce qui nous ramène à une question fondamentale en éducation. Comment veut-on former la jeunesse et pourquoi?

Sur le second contentieux, il pose directement la question : «Peut-on apprendre un métier que personne ne prend au sérieux?» Là comme ici les stages soulèvent un problème. «En 1983, sur 3648 candidats aux épreuves pratiques du CAPES, 169, soit 5,17 % ont été ajournés, et 8, soit 0,24 % ont été refusés définitivement» (p. 221, n. 4). La nature même de la formation professionnelle est soit déséquilibrée, soit archaïque (p. 176-182). Ces quelques pages peuvent se comparer à du meilleur John Dewey en ce qui a trait à l'enseignement comme étant une reconstruction permanente de l'expérience. À cet égard, il y aurait une révolution à faire dans notre enseignement universitaire.

« Quelles recherches pour quelle formation?» est le troisième contentieux. L'auteur suggère de «privilégier non la recherche sur l'éducation, mais la recherche en éducation (p. 201). En d'autres termes, il souhaiterait une attitude critique, bref, un regard clinique (p. 193). Il voit tout d'abord la didactique comme un immense champ d'investigation. Comme autre champ prioritaire, il voit celui des relations nombreuses dont l'école est le lieu (p. 203-204).

Dans notre souci d'améliorer l'école, l'idée de renforcer les contraintes s'est pointée au bout du tunnel. Que faut-il penser à ce sujet? Voici trois mots : évaluation, sélection et élimination qui pourraient nous faire réfléchir. L'évaluation recherche ce qui est le meilleur. La sélection indique lesquels sont choisis. L'élimination détermine lesquels sont rejetés. Or nous savons qu'aucun parent ne souhaite l'élimination pour son enfant.

Je laisse au lecteur virtuel de ce livre le soin de faire sa propre critique et par le fait même son auto-critique.

Bruno Deshaies
11 décembre 1997


  1. Cette notice accompagne le tome IV de l'Histoire générale de l'enseignement et de l'éducation en France : L'école et la famille dans une société en mutation, Paris, Nouvelle librairie de France, 1982.  Compte rendu de lecture de l'ouvrage d'Antoine PROST, Éloge des pédagogues (Paris, Seuil, 1985, 224 p.), paru dans Le Devoir, 8 juillet 1986, p. 7 ; voir aussi Information [Revue de la FQDE], no 1 (octobre 1986), 19-20.

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