Rond-Point AccueilConférencesSackville (12 novembre 1999)


Les nations et le nationalisme dans l'histoire
d'après l'historien Maurice Séguin

F.- La nation québécoise

Un sujet qui fait couler beaucoup d'encre parmi les Québécoises et les Québécois est cette déclaration de Jacques Parizeau, le soir du référendum de 1995, où il déclarait que " nous, les francophones avons voté oui à 60 %. " Ce " nous " est devenu l'objet d'une controverse entre le " nous " qui exclurait tous ceux qui ne sont pas " pure laine " de la communauté québécoise et le " nous " inclusif (épithète à la mode dans le discours sur le pluralisme et la démocratie au Québec) qui impliquerait toutes les communautés de la population québécoise. Or les débats sur la nation québécoise se passent dans les réseaux des québécois français et assimilés ; les anglo-québécois sont absents et les nations autochtones se tiennent aux aguets.

Les suites de cet échec au référendum de 1995 ont entraîné toutes sortes de discussions sur la langue, l'identité nationale, la nation, la société québécoise, les francophones « pure laine », le pluralisme, le nationalisme, etc. Essayons de voir clair dans ces débats à la lumière de la pensée de Maurice Séguin.

1. Les Québécois Français

Le dossier de la langue alimente depuis plusieurs générations des débats passionnés, vifs, controversés et acrimonieux qui souvent ne tiennent pas compte de la situation réelle du Québec Français au Canada et en Amérique du Nord. Récemment, la question du déclin des francphones sur l'île de Montréal anima le journal La Presse de Montréal. Son éditorialiste en chef, Alain Dubuc, saisit l'occasion pour signer un éditorial portant sur " Le PQ et la peur de l'immigrant " (2 octobre 1999, p. B2). La réplique est venue par la ministre péquiste, Louise Beaudouin, sous le titre : " Le français à Montréal : une question vitale ou un "épouvantail" ? " ; la contre-réplique immédiate d'Alain Dubuc est parue sous le titre : " Des dérapages qui nous rapetissent ". Toujours cette mentalité de se réduire par souci d'ouverture ou d'altruisme.

L'usage du " nous " par Alain Dubuc veut recouvrir tous les segments de la population du Québec ; en revanche, Charles Taylor voit plutôt un " nous " exclusif parce qu'il ne se référerait qu'aux Québécois de souche, c'est-à-dire aux générations successives de Canadiens dont Fernand Dumont a tenté de faire la " genèse ". Des débats comme ceux-là, il y en aura toujours tant et aussi longtemps que le Québec Français ne s'affirmera pas d'une manière non équivoque.

Une culture ne se réduit pas à une langue d'usage commune publique ; une nation ne se limite pas seulement à l'ethnie ; une société ne peut se restreindre à une somme d'individus ou à une association de communautés qui entretiendraient des liens sociaux plus ou moins cohérents. Une culture, une nation et une société ont besoin d'une direction, d'une orientation et, finalement, d'une capacité d'agir par soi. Dans une société démocratique, il revient à la majorité démocratique de pouvoir dégager différents consensus qui marqueront la vie collective de cette nation (par ex., c'est le cas du corpus législatif) même si elle comprend d'autres groupes ou nations dans son sein.

Les reproches adressés fréquemment aux Québécois Français sont généralement antidémocratiques parce que d'autres logiques issues de la volonté d'autres gouvernements au Canada se substituent à celle de la société québécoise. Le débat sur la langue au Québec n'échappe surtout pas à cette duplicité, d'où l'imbroglio permanent autour de la langue française et de la loi 101. Il n'y a rien de surprenant d'entendre d'un Québécois anglophone, Charles Taylor, de " désacraliser la loi 101 ". Selon lui, " pour construire notre identité politique commune, il faudrait que la défense de la langue ne soit plus identifiée, comme elle l'est encore par certains ultranationalistes, à un texte de loi sacré. Il s'agit moins de compter le nombre d'amendements qu'a subi le texte originel de la loi 101, pour déterminer combien sa chair vivante a été " charcutée ", que de trouver l'équilibre nécessaire, toujours à modifier, entre une langue publique dominante et les autres langues inséparables d'une société polyglotte ouverte à un monde où une lingua franca circule qui n'est pas notre langue commune. Au lieu de chercher une sécurité illusoire dans la belle totalité d'une législation définitive, nous ferions mieux d'admettre que notre situation nous posera une série de dilemmes sans fin, que nous devrions affronter avec la plus grande créativité. " (Le Devoir, 19 juin 1999.)

La même défense de la société polyglotte par un italo-québécois qui écrit au Devoir ce qui suit : " Dans un contexte cosmopolite, l'identité, individuelle ou collective, peut difficilement être traduite par une seule langue. " Il précise même qu' " au Québec, l'immigrant multilingue a besoin de parler français, mais il n'a pas besoin du français pour parler. " (Marco Micone, " Le français n'est pas en péril ", in Le Devoir, samedi, 16 octobre 1999.) Comment peut-on en arriver à discuter des problèmes socio et démolinguistiques d'une telle façon ? Je vous le demande ?

Malheureusement, notre propos ne porte pas sur cette question spécifique. Cependant, il semble impossible de ne pas signaler l'ampleur du malaise que soulève un pareil raisonnement. Selon le bon sens, les Québécois Français ne parlent pas une langue commune, ils parlent le français. D'ailleurs, les Québécois Français croient qu'ils peuvent vivre en paix avec les autres communautés culturelles sur leur territoire en s'affirmant comme majorité accueillante tout en respectant les rouages démocratiques de la société. Le Québec Français n'est pas à rebâtir ou à réinventer : il lui faut s'affirmer et vivre par soi et avec les autres. Cela fait partie de la vie et des conditions de vie. « Malgré toute l'insistance sur la nécessité et l'utilité pour une société de collaborer avec les autres, écrit Maurice Séguin, il n'en demeure pas moins que la notion de vie en société se rapporte essentiellement à la notion d' "agir-par-soi " de cette société. » (Les Normes, 1,1,2,7.)

2. Discours et débat sur la nation : laquelle ?

D'un autre côté, le discours sur la nation québécoise est devenu présentement si confus au Québec qu'il est à se demander si ce ne sont pas des discours en vue seulement d'épater la galerie. Les positions des uns et des autres sont irréconciliables malgré les efforts qui sont faits pour cerner la nation québécoise. Malheureusement, trop de contours imprécis règnent dans le vocabulaire et dans l'analyse des faits. Parmi les raisons de cette difficulté, il y a le fait que de nombreux intellectuels s'embourbent dans des discussions longues, ardues, compliquées et souvent sémantiques pour chercher à accoucher d'une nation québécoise qui aurait dans son sein d'autres nations qui seraient elles-mêmes québécoises en étant toutefois distinctes et différentes.

À vrai dire, le débat ultime aura lieu lorsque les Québécoises et les Québécois français auront décidé eux-mêmes de leur avenir. Il est vain de vouloir s'attendre que la nation anglo-québécoise du Québec (au 3e sens de la définition de nation) travaille à l'établissement d'une langue commune, le français, au Québec. Il est plutôt probable que la nation anglo-québéoise entre directement en conflit avec la nation québécoise-française. La lutte d'Alliance-Québec sous la direction de Bill Johnson et les propos incendiaires de Stéphane Dion à Ottawa ne rendent pas la situation acceptable pour une majorité de la population québécoise par rapport au maintien d'un Québec Français fort et assuré de son avenir. Le débat est loin d'être clos. Et ce n'est pas du côté de l'idéologie du pluralisme social défendue par les nouveaux penseurs de la nation québécoise qui cherchent à occulter le " nous " collectif du Québec Français composé de canadiens-français et de tous ceux et celles qui, avant et après la loi 101, ont adhéré à la majorité linguistique française du Québec, qu'on trouvera la solution de l'avenir du Québec Français.

Ce " nous " collectif fait sursauter le philosophe Charles Taylor. Il a déclaré ce qui suit le 8 octobre dernier à McGill : " Ce qui m'a choqué dans le discours de Jacques Parizeau le soir du référendum, c'est lorsqu'il a déclaré : " Nous, les francophones, avons voté OUI à 60 %. " Pour Charles Taylor, la nation québécoise doit se limiter à " garder le français comme langue publique commune " et elle ne doit pas aspirer à ce que " les francophones de souche demeurent majoritaires ". " Dans le premier cas, ajoute Taylor, où on définit le français de telle sorte que tous puissent y être associés, il n'y a pas de problème, le français va demeurer majoritaire à Montréal. Si on parle des francophones de souche, c'est autre chose. Mais veut-on garder la langue française ou une majorité de francophones pure laine ? " (Cité par Jean Pichette dans Le Devoir, vendredi, 8 octobre1999.) C'est avec cette dernière question que toute la logique de Taylor dérape.

La réponse est venue dans une lettre des lecteurs publiée dans Le Devoir par le démographe Michel Paillé. Voici ce qu'il lui réplique :

" Sur quelle planète vit Charles Taylor ? Depuis un quart de siècle, le Québec répond chaque jour à la question qu'il a posée au Colloque du Devoir sur la nation (Le Devoir, 9 octobre 1999). Notre grand philosophe nous dit que la question est de savoir " si on veut garder le français comme langue publique commune ou si on veut que les francophones de souche demeurent majoritaires". Il me semble que depuis la loi 22 de 1974, et a fortiori depuis loi 101 de 1977, le Québec a montré éloquemment qu'il voulait parler sa langue avec tous, en particulier avec les enfants immigrés tenus de faire leurs études en français. Ce sont ceux qui s'attaquent à ce fleuron de la loi 101 qui veulent limiter le français à un groupe qu'ils qualifient d'" ethnique ", " de souche " ou de " pure laine ", plutôt que les francophones eux-mêmes. " (Lettre publiée dans Le Devoir du 18 octobre 1999.)

Il est bien beau d'affirmer qu'une société qui se veut démocratique et pluraliste doit inclure tous les " nous " de la société civile ; en revanche, peut-on affirmer une telle idée en dénigrant la majorité de ses droits et de son pouvoir au sein de la société civile ? En passant dans un nouvel empire après la Conquête, le Canada français n'a jamais accepté sa subordination complète, d'où sa survivance et ses problèmes. Il serait vain aujourd'hui de vouloir réécrire l'histoire dans l'espoir d'effacer le passé et de lui donner un lustre qu'il n'a jamais eu. " Aucune nation qui se respecte, pronostique Maurice Séguin, n'accepte d'entrer dans une fédération. " (Dans Histoire de deux nationalismes au Canada, Montréal, Guérin, 1997, p. 409.)

3. Prédominance de la majorité

Au plan sociologique, le Québec Français est une donne incontournable. Cependant, Gérard Bouchard et les assimilés à sa pensée croient que " l'aménagement de la diversité culturelle qui existe aujourd'hui au Québec [est] une réalité qui n'a pas été imposée mais bien voulue par le Québec ". Dans un tel cas, " pourquoi faudrait-il avoir le sentiment que la culture canadienne-française doive se dissoudre dans le modèle d'une nation québécoise élargie, faisant place à la diversité ? La culture francophone n'a qu'à prendre sa place et à l'étendre. Après tout, les francophones représentent 82,5 % de la population du Québec. " (Cité par Jean Pichette dans Le Devoir, vendredi, 8 octobre1999.) Est-ce aussi simple qu'il le dit ? D'autres questions se posent. S'agit-il d'une question de culture seulement ou d'une question nationale au sens fort du terme ?

Il devient impératif de clarifier les ambiguïtés de la pensée de l'historien et sociologue Gérard Bouchard, professeur à l'Université du Québec à Chicoutimi, et de ses assimilés, pour saisir la véritable situation du Québec Français. Raisonnons un peu. Si le Québec est la somme de tous ses individus, le Québec est aussi le rassemblement de toutes ses collectivités. Le " nous " collectif réfère donc à toute la population du Québec et à toutes les communautés " nationales " confondues. Cependant, dans une société démocratique normale, le poids d'une majorité peut marquer l'avenir de la société civile. La reconnaissance de la prédominance de la nation majoritaire (au 3e sens de la définition de nation) dans un État qui peut jouir de la souveraineté politique rejoint finalement le 4e sens de la définition de nation au sens intégral. Cette nation, pour exister dans le monde, doit s'assurer que son agir par soi collectif est possible et qu'il n'en est pas moins nécessaire dans tous les aspects, que ce soit directement ou indirectement en politique, en économique et au culturel.

Si la population québécoise, par l'expression de sa souveraineté populaire, exprime majoritairement sa volonté de se libérer de la fédération canadienne, il serait inadmissible en droit ou par la force que d'autres nations ne reconnaissent pas la décision exprimée par la volonté générale. La non-reconnaissance irait à l'encontre de toute la tradition politique occidentale. D'où la question de Maurice Séguin en conclusion de sa synthèse sur l'Histoire de deux nationalismes au Canada : " Sera-t-il possible au Québec de transformer ses relations de dépendance en relations d'égalité dans l'indépendance ? En d'autres termes, sera-t-il possible au Québec de corriger deux siècles d'histoire ? (p. 431) "

4. Langue française ou langue commune ?

Si les choses continuent comme elles vont, la nation québécoise connaîtra une langue commune (est-ce le français?), d'une part, et l'anglais au quotidien, d'autre part. La langue commune qui n'a pas de nom, serait le français mais les anglo-québécois ne se gênent déjà pas de parler de l'anglais au quotidien. Il y a là un dilemme.

Comme tout le monde sait, la question de la langue française au Québec soulève beaucoup de passions. Dans un esprit naïf de bonne entente et comme pour atténuer les susceptibilités de toutes les catégories linguistiques au Québec, on en arrive à ne pas dire que la langue française serait la langue de tout le monde et, pour cela, on a inventé dans les cercles intellectuels et politiques une expression : la " langue commune ". La question est de savoir, qu'est-ce qu'une langue commune ? La langue française serait une langue commune au Québec ! Pourquoi le mot " commun " au lieu du mot " français " ? Pourquoi ne pas dire : la langue du Québec, c'est le français ? N'est-ce pas plus clair ? Pourquoi l'épithète " commun " signifierait-il le mot " français " ? Il y a là un symptôme d'un malaise profond tant au point de vue psychologique, culturel, que sociologique et linguistique au Québec et d'ailleurs au Canada.

Il semble qu'on soit arrivé à une sorte de discours du commun usage qui qualifie tout ce qui pourrait être québécois. Tout devient commun au Québec : la langue commune, les valeurs communes, l'école commune, les projets communs, l'histoire commune, l'avenir commun, etc. Tout cela, pas plus que cela, que vous soyez fédéralistes ou souverainistes ! " Peu importe le choix politique du Québec, fédéraliste ou souverainiste, déclare le ministre péquiste Robert Perreault dans une entrevue, il faut à tout prix que ses diverses composantes partagent une citoyenneté et une langue communes. On ne réécrira pas le passé qui a donné naissance à notre société, mais si nous voulons un avenir commun, il faut promouvoir un type de citoyenneté incluant tous les Québécois (in La Presse, samedi, 1er mai 1999, p. B1) " Le ministre ne demande ni plus ni moins que d'oublier la réalité et de vivre dans le futur. Cette fuite en avant qui dure depuis cinq ou six ans n'aboutit nulle part sinon qu'elle ne fait que cristalliser encore plus le Québec Français. Le discours officiel est loin des aspirations de la volonté générale de la population. Heureusement, celle-ci ne suit, pas malgré tout, le matraquage idéologique qu'elle subit tant de la Société Radio Canada que des hommes politiques et d'un certain nombre d'intellectuels du Québec.

Par exemple, le mandat attribué au ministre des Relations aux citoyens du Québec à l'occasion de sa prestation de serment, en décembre 1998, a été précisé par le premier ministre Lucien Bouchard en ces termes : " Aux Relations avec les citoyens, Robert Perreault poussera plus loin encore notre volonté [celle du gouvernement du Québec] de rassembler dans des projets communs, les Québécois et les Québécois de toutes origines " (Ibid.). Bel idéal du communautarisme ! Or tout le monde sait, cependant, que pointe " la minorisation des Franco-Québécois dans l'île de Montréal ". Le ministre Perreault trouve pourtant cette " situation préoccupante ! (Ibid.) "

La langue commune au Québec est un pis-aller. Elle permet à tout le monde de dire n'importe quoi sur la langue et les langues, de telle sorte que Québec pourrait devenir un genre de société des nations avec " un nationalisme ouvert à la citoyenneté pluraliste ". Un universitaire québécois a pu écrire ce qui suit :

" Le nationalisme québécois, essentiel à la construction d'une culture politique francophone commune, ne saurait en conséquence s'épanouir dans le refus de l'hétérogénéité. Ce nationalisme doit devenir pluraliste. J'entends par là un nationalisme qui reconnaît, dans l'espace public lui-même, l'existence de nations différentes et de communautés culturelles diverses. En somme, compte tenu de la complexité même des vieilles démocraties, la société québécoise ne peut se construire que sur la base de la reconnaissance de son caractère multinational et multiculturel. " (Gilles Bourque, " Pour un nationalisme ouvert à la citoyenneté pluraliste ", Le Devoir, 3-4 juillet 1999, p. ? .)

Ce projet chimérique de " culture politique francophone commune " tient de la pensée magique. Cette vision d'une " culture politique francophone commune " entre directement en contradiction avec l'idée d'un nationalisme à " caractère multinational et multiculturel ". Nous sommes en présence d'une véritable tour de Babel non seulement linguistique mais culturelle et politique. Sur de pareils bases, on assiste à l'effritement intégral des fondements de la société et à la promotion de tous les individualismes qu'ils soient personnels ou collectifs. Une telle société ne peut nullement vivre en paix. Au delà du rêve, une société a besoin d'une bonne dose de cohésion sociale sans pour autant que l'ordre devienne tyrannique. Par contre, le désordre linguistique et culturel peut tyranniser la société à un tel point qu'elle devienne invivable. Le Québec est au bord du désastre avec tous ces discours du commun usage.

5. Identité nationale et nationalisme

Depuis un certain temps, on fait un usage abusif du concept d'identité nationale associé au nationalisme et à la citoyenneté. Ici, toutes les confusions semblent permises. Où sommes-nous donc rendus avec cette notion d'identité ? Et où peut nous conduire une telle situation ? On paraît insinuer que s'il y a trop d'identité nationale, c'est du nationalisme et que s'il y a trop de nationalisme, c'est la négation des droits du citoyen.

a) L'idéologie du pluralisme contre l'identité nationale

En rapport avec ce dilemme, il est légitime de se demander si les raisonnements entourant le concept d'identité nationale ne sont pas volontairement équivoques afin de justifier à peu près tout ce que l'on veut bien écrire ou suggérer. Par exemple, on est rendu à parler " d'identités plurielles " (G. Bouchard), d'invention d' " une citoyenneté plurielle " où " une démocratie forte permet l'expression d'identités culturelles diverses " (C. Bariteau), " de l'identité civique commune de tous les Québécois " dans une " société québécoise plurielle " (M. Seymour), d' " une souveraineté plurielle " (D. Delâge) ou encore de pluralisme et de collectivité nationale (D. Juteau), de " pluralisme des peuples et des communautés " (J. Jenson), d' " une identité collective englobante de toutes les autres " (J. Létourneau), d' " identité fragmentée " (Gilles Bourque), d'un projet de multiples identités personnelles à l'intérieur d'une " identité politique " (Charles Taylor), du " combat pour le maintien de l'identité culturelle francophone " (G. Baum), de " l'établissement de relations équitables entre des citoyens qui se reconnaissent une même appartenance " (D. Jacques) et, finalement, " d'une identité à refaire " (S. Cantin). Quand cette litanie d'identités prendra-t-elle fin ?

b) Le concept d'identité nationale

Au fait, c'est quoi l'identité et l'identité nationale ? De sa racine latine, idem, l'identité signifie "le même". D'après le principe d'identité, il semble que le concept d'identité ne fait pas bon ménage avec le mot "pluriel", car c'est l'unité qui vient corroborer l'identité. Cette recherche et cette affirmation de l'identité pour une collectivité qui a pris conscience de sa présence dans le monde marquent l'identité nationale et s'expriment par le nationalisme. Une identité nationale ne peut vivre si elle ne s'exprime pas si elle ne s'affirme pas si elle n'est pas présente au monde. A contrario, si l'on parle d'identités plurielles, c'est que l'on veut dire bien autre chose que l'identité ! Que veut-on dire au juste ? Quelle définition donne-t-on à l'identité plurielle ? N'est-ce pas que le débat dérape sur des voies disparates ? Est-ce la meilleure façon d'ouvrir un débat démocratique qui exige de la transparence ?

L'identité nationale d'un groupe ou d'une ethnie peut entrer en conflit avec d'autres identités nationales mais elle ne peut certainement pas être des identités nationales plurielles au sein de la même identité collective. Ce que Raymond Aron a très bien compris lorsqu'il écrit : " La revendication nationale devient nationaliste lorsque l'ethnie, par la voix de ceux qui parlent en son nom, a pour objectif l'indépendance totale, le droit de se constituer en État souverain. Les problèmes de minorités nationales concernent les ethnies qui protestent contre les inégalités ou discriminations sans se donner pour but la séparation. " (Raymond Aron, Les désillusions du progrès. Essai sur la dialectique de la modernité, Paris, Calmann-Lévy, 1969, p. 74.) On est loin de ces discours sur la conception modernisée de l'idée nationale où l'on se refuse de vouloir se poser en " gardien du temple " de l'orthodoxie de la tradition nationale. Quelle fumisterie ! Ce que recherche le Québec Français d'aujourd'hui, ce n'est pas " l'orthodoxie de la tradition nationale " mais l'agir par soi collectif, ce que d'ailleurs la France veut faire par rapport aux Américains et en face de l'Europe et même, bien entendu, de l'Union Européenne. D'ailleurs,tous ces pays qui rêvent d'un nouvel ordre impérial découvriront, tôt ou tard, le sort du Troisième empire britannique qui s'est muté en une association assez lâche de pays amis sous l'égide du Commonwealth. Faut-il faire remarquer que les Américains n'en font pas partie !

c) La nation, la société et les identités plurielles

Cela dit, l'identité nationale qui comporterait des identités nationales plurielles deviendrait une véritable tour de Babel. Car les nationalismes qui s'exprimeraient pour chacune des identités mettraient directement en cause l'identité nationale. Ce qui pourrait être le cas de la nation québécoise. Il est très difficile de voir où veulent nous conduire les universitaires-spécialistes-de-la-question-nationale au Québec. Ou bien ils fantasment sur la nation québécoise ou bien ils nous disent ce qu'ils veulent dire ouvertement et visière levée. Pour l'heure, leurs propos tiennent du rêve, presque du délire. Ils savent bien qu'une société n'est pas que la somme des individus et l'application des chartes des droits et liberté de la personne. Ils savent bien que la reconnaissance des communautés culturelles ne peut pas faire ipso facto une vie collective pacifique. Ils savent bien que la langue, même commune, ne résout pas les conflits culturels latents. Ils savent bien que la reconnaissance du pluralisme ou de la tolérance ne met pas la société civile à l'abri des pressions des groupes entre eux. Conséquemment, ils semblent ignorer les règles mêmes de l'analyse historique et sociologique pour prêcher leurs visions de la société et de la nation québécoises. Pour la France, monsieur Brindeau fait le même raisonnement (cf. L'Action nationale, 89, octobre 1999, 8 : 5-10).

Dans ce charivari dont ils sont conscients, ils appellent tous leurs concitoyens à les suivre aveuglément dans la confusion de leurs discours. Suite à l'expérience du débat de cet été dans Le Devoir, il ne semble pas qu'une majorité de gens désirent les suivre sur le chemin de la déraison de leurs discours. Or à tous ces gens qui prêchent le fédéralisme et le pluralisme ou vice versa ou même les deux, consciemment ou inconsciemment, ignorent-ils que l'assimilation est " une réalité de la vie " ? (dixit Jean Chrétien). Serait-ce la destinée inéluctable du Québec Français ?

d) Nationalisme et identité

Il n'y a pas que les Québécois Français au Québec qui pratique le nationalisme. Il y a la présence d'une minorité nationale Québécoise Anglaise qui pratique un nationalisme canadian au sein du Québec Français, ce que ne peuvent pas faire, en contrepartie, les franco-ontariens, les fransaskois, les Acacadiens au Nouveau-Brunswick ou les Cajuns de la Louisiane. Le nationalisme des minorités véritables n'a généralement jamais bonne presse, surtout si ce nationalisme revendique son agir par soi collectif. En revanche, si la notion même d'identité est battue en brèche par des élites du Québec Français qui se prennent pour des éclaireurs de l'avenir par l'usage d'épithètes qui entrent en contradiction avec l'idée même d'identité, alors ce nationalisme ne peut être que des protestations contre les inégalités ou les discriminations sans se donner pour but la séparation. Or, à la face des points de vue exprimés cet été dans Le Devoir, sauf pour un, Serge Cantin, leurs discours ne peuvent conduire qu'à des aberrations logiques et, pire, à une dislocation de la société elle-même, voire même de la nation et de l'État québécois.

L'identité québécoise fondée sur une langue commune est une farce monumentale. Le nationalisme du Québec Français fondé sur des identités plurielles est une aberration sociologique. La nation souveraine soumise à l'idéologie du pluralisme est un mensonge, une hypocrisie. Le nationalisme du Québec Français ne peut être aujourd'hui que celui de l'agir-par-soi sans quoi il n'est qu'un mythe. Maurice Séguin soutient que l'agir-par-soi d'une nation " signifie fondamentalement trois choses : ": 1° se gouverner soi-même tant intérieurement qu'extérieurement, 2° exploiter soi-même ses ressources économiques intérieures dans tous les secteurs et 3° commercer soi-même avec l'extérieur. " Sur quoi il ajoutait : " Agir ainsi est un bien en soi. L'indépendance politique est un bien en soi. L'indépendance économique est un bien en soi. En agissant par elle-même, la collectivité, - par l'ensemble de ses membres ou par son élite politique et économique -, acquiert des habitudes, de l'initiative et de l'expérience. Agir-par-soi, vivre soi-même, sans collectivité interposée, est source de richesse d'être. " (Histoire de deux nationalistes au Canada, p. 9.) Nous sommes bien loin des élucubrations sur la nation québécoise des universitaires-spécialistes-de-la-question-nationale, des nationalistes-fédéralistes-souverainistes, des redresseurs de torts subis par le Québec ou de la vision souveraineté-partenariat du Parti Québécois.

Prenons acte du fait que le Québec Français est écartelé quant à son identité nationale, d'où ses nombreuses hésitations ; de plus, il est divisé sur l'affirmation de son nationalisme complet parce qu'il se contente d'une certaine autonomie interne pour ne pas dire d'une autonomie incertaine. " De cette façon, écrit Séguin, quand on est une minorité dans un régime fédéral, c'est ne rien avoir à reprocher au régime fédéral en lui-même. Dans ce cas, c'est donner dans le " fédéralisme ".(Histoire de deux nationalistes au Canada, p. 6, n. 1.) De nombreux textes écrits par des nationalistes québécois français tombent dans ce piège.

Séguin et l'annexion du Québec Français >>


Page d'accueil    Commentaires  Haut