Rond-Point AccueilConférencesSackville (12 novembre 1999)


Les nations et le nationalisme dans l'histoire
d'après l'historien Maurice Séguin

H.- Séguin par rapport à la situation actuelle

Les conclusions de l'historien Maurice Séguin au sujet de l'évolution historique des deux Canadas transcendent les conjonctures particulières : elles rejoignent les logiques fondatrices cachées derrières les actions et les comportements des acteurs historiques. On peut donc admettre que, dans une situation donnée, si les forces et les idées en présence demeurent les mêmes, il est prévisible d'observer des comportements similaires à ceux qui ont été étudiés. Par conséquent, il est normal d'envisager que des politiciens, des universitaires, des chefs d'entreprises, des éditorialistes, des collègues historiens, des partisans d'une vision ou d'une autre ou, encore, des citoyennes et des citoyens qui s'expriment sur la question des rapports entre la nation québécoise française et le Canada Anglais ressemblent à des comportements déjà connus. Nous savons d'expérience que les changements d'idées, de mentalités ou de regards sont les plus lents à pouvoir se réaliser. Les quiproquos sont souvent l'apanage de nos discours et de nos raisonnements ; ils sont habituellement à l'origine de nombreux malentendus.

Pour sa part, Séguin a tenté toute sa vie à clarifier ses idées et à s'assurer de sa compréhension du passé. Les résultats de ses recherches ont été le fruit d'un long contact avec notre histoire nationale (canadienne et/ou québécoise). Il serait stupide de recommencer les mêmes analyses indéfiniment. Nos penseurs de la nation québécoise doivent être ramenés sur le chemin du bon sens, car le temps que nous perdons actuellement à reprendre les analyses de Séguin nous prive d'une meilleure connaissance de notre situation actuelle et des solutions qui seraient souhaitables d'envisager.

Les Canadiennes et les Canadiens tout autant que les Québécoises et les Québécois ont besoin de lire attentivement la synthèse historique de Maurice Séguin traitant de l'Histoire des deux nationalismes au Canada. Cet ouvrage conserve encore toute son actualité, car il est fondé sur l'analyse d'un problème : le phénomène d'annexion d'une société par une autre dans les rapports entre deux sociétés au Canada depuis 1760. Pour Maurice Séguin, le fédéralisme canadien - par rapport aux " principaux types ou degrés d'annexion politique " - est un type ou un degré d'annexion dans lequel le Québec Français constitue une " nationalité groupée, majorité locale, maîtrisant un organisme politique régional officiel (province ou État provincial) et représentée dans l'État central par des députés élus directement par le peuple en général, indépendamment de l'organisme régional ". (Les Normes, 3, 7, 5, 5.) Donc, la nation annexée (par ex., le Québec) vit une " subordination sur place " par opposition à la nation satellite (par ex., le Canada) qui vit une " subordination de voisinage ". (Les Normes, 3, 6 et 3,7.) " Être une nation satellite est plus avantageux qu'être une province, car théoriquement il s'agit d'un État souverain et distinct. Il y a un État national, des frontières, une armée, une monnaie nationales... " (Les Normes, 3, 6, 8.)

La population du Québec d'aujourd'hui, tout autant que celle d'hier, mutatis mutandis, comme celle du Canada-Est, du Bas-Canada, du Canada de l'Acte de Québec ou de la Proclamation royale, fait face à un " ennemi " dans ses relations de voisinage. Dans ce cas, l'ennemi, " c'est la collectivité rivale, organisée en nation, et qui est capable :
a) soit de limiter (l'agir par soi) collectif de cette première nation,
b) soit de détruire (l'agir par soi) collectif de cette première nation. " (Les Normes, 3, 5, 11.)
Donc, le mot " ennemi " prend, ici, le sens d'une " chose qui s'oppose à une autre et lui nuit " (cf. Le nouveau petit Robert, 1994), comme dans l'expression " le mieux est l'ennemi du bien. " Par exemple, lorsqu'une subordination de voisinage se transforme en une subordination sur place ou de superposition, on se retrouve dans la situation des nations annexées. Et une nation annexée, c'est quoi au juste ? Séguin s'explique à ce sujet dans Les Normes. Il écrit :

" C'est une communauté distincte (nation au sens sociologique [cf. Les Normes, 3, 2, 3] qui se sait distincte et qui a conscience de sa nationalité. Cependant, cette nation est forcée " d'exister ", de vivre tant bien que mal, comme minorité permanente, sous un système politique souverain dominé par un autre peuple majoritaire, ou par un groupe d'autres peuples formant la majorité constante. En d'autres termes, c'est une nation ou une nationalité (considérée en tant que groupe) qui ne jouit pas de l'indépendance politique "même nominale". " (Les Normes, 3, 7, 2.) Tel est le sort des Québécois dans la fédération canadienne.

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