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L'affrontement de deux nationalismes au sein d'un même État: des compromis possibles ou une situation intenable ?

Des nationalismes (complets) peuvent-ils s'épanouir au sein d'un même État ?

Le problème que nous voulons analyser aujourd'hui concerne les affrontements nationaux au sein d'un même État. Il s'agit de savoir si des nationalismes (complets) peuvent s'épanouir au sein d'un même État. Pour y voir clair, posons la question différemment : est-ce que la revendication nationale qui a pour objectif l'indépendance complète ou totale, c'est-à-dire le droit de se constituer en État souverain (pour réutiliser les termes de Raymond Aron), peut être compatible avec une autre revendication nationale de même nature et compétitive au sein d'un même État ? N'est-ce pas que ce serait comme mettre sur les mêmes rails deux trains qui se dirigeraient aveuglément l'un contre l'autre ? La collision provoquerait sûrement des dégâts, des désavantages, des ennuis et des inconvénients de toutes sortes pour l'un et pour l'autre. Si l'un des trains est plus petit, moins équipé, moins solide, moins bien construit ou plus usé par le temps, n'est-ce pas que le plus gros train, mieux équipé, plus solide, mieux construit et plus neuf avec des matériaux plus résistants risque de faire un tort incomparable à l'autre train ? Toutefois, malgré la puissance du gros train, il restera tout de même des bris et des ennuis qu'il faudra corriger et éliminer par la suite afin de rétablir les conditions optimales de fonctionnement antérieures.

Le Canada-Anglais, c'est le gros train ; le Québec Français, c'est le petit train. Le petit train a une moins grosse locomotive et un nombre restreint de wagons ; le gros train possède à son profit une plus grosse locomotive et un nombre plus grand de wagons. Le gros train est propriétaire de la voie ferrée et, en plus, il contrôle les règles de circulation. Le petit train doit freiner s'il ne veut pas être écrasé et plus il freine son élan, plus il ralentit sa course et plus la distance qu'il parcourt est proportionnellement réduite. Le gros train demeure toujours en marche, il surveille l'éventualité de l'affrontement, il évalue ses manoeuvres de secours, il cherche des voies pour éliminer les risques de dommages trop grands mais il sait qu'il est en mesure de contrôler sa course et même celle de l'autre.

Cette analogie entre le gros et le petit train ne tient qu'à mettre en évidence la disproportion des forces en présence et les effets qui peuvent s'en suivre. Les Québécois Français savent, intuitivement, que le Canada-Anglais est maître de la situation générale au Canada ; ils savent aussi qu'ils font partie de ce Canada qu'ils admirent béatement, pour les uns, et que d'autres abhorrent carrément ; ils ne comprennent pas clairement que leur " ambivalence " au sujet de leurs allégeances au Canada crée une situation qui diminue leur capacité d'action ; ils croient, pour un certain nombre d'entre eux, que l'indépendance à deux sur le même territoire est possible ; ils pensent régler la question nationale en résolvant la liste des problèmes sociaux ; ils ne comprennent pas que la centralisation des politiques au Canada n'est pas un effet de l'histoire mais bel et bien une condition sine qua non de la constitution elle-même.

La centralisation la plus désastreuse est intrinsèque au régime Il faut s'arrêter un instant à cette dernière remarque pour attirer l'attention sur l'un des " à-côtés de 1867 pour les Canadiens-Français ". Au sujet de la centralisation dans le régime fédéral canadien, Maurice Séguin dresse le constat suivant dans Histoire de deux nationalismes au Canada.

" On est porté, dans certains milieux, à accorder beaucoup d'importance à la " centralisation " survenue depuis 1867. Comme si le régime de base - le partage fédéral de 1867 - pourvu qu'il soit maintenu, ne comportait aucun inconvénient sérieux pour le peuple minoritaire canadien-français. Il faut échapper à ce piège et bien comprendre que la centralisation la plus désastreuse c'est celle-là même qui est contenue dans le régime d'union législative de 1841 et dans le régime de l'union fédérale de 1867, deux régimes où le Canada-Français se voit refuser le self-goverment, c'est-à-dire la permission d'administrer lui-même, majoritairement, les grands pouvoirs de l'État complet : les relations politiques et économiques avec l'extérieur, la défense..., l'emprise totale sur les impôts, etc. Certes, il y a eu centralisation au fédéral depuis 1867, mais là n'est pas l'essentiel. On pourrait faire remarquer également que les compétences des provinces se sont accrues depuis un siècle... Et on se retrouve toujours devant le même " partage fédéral " qui provincialise les Canadiens-Français. " (p. 399)

Pour continuer notre analogie, le gros train possède, " constitutionnellement ", les grands moyens et le petit train doit se satisfaire de droits (des permissions) et de pouvoirs (des moyens) secondaires. Dans un même État, si l'on accepte le fait qu'il puisse exister une nation majoritaire et une nation minoritaire dans un régime fédéral, " on ne doit pas s'imaginer, pense Maurice Séguin, que la nation minoritaire sera libre quand le central sera moins fort ; elle sera un " peu moins pas libre ". Ne pas croire que, si le central a peu de pouvoir, la nation minoritaire sera souveraine. À la limite, si le central devenait un pouvoir très désincarné (sans armée, sans diplomate, sans droits prioritaires sur les revenus, etc.), la nation minoritaire serait quasi souveraine, mais elle aurait toujours quelque chose de moins que la nation majoritaire, ce " quelque chose " qui serait du domaine central. " (Les Normes, p. 179-180 ou Les Normes, 3, 10, 1, 1- g.)

Des compromis, malgré tout, sont-ils possibles ? >>


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