Rond-point Éducation Histoire de l'éducation / Québec


ANALYSE POLITIQUE DE L'AVANT PROJET DE LOI
(16 AVRIL 1997)

REMARQUE PRÉLIMINAIRE

L'avant-projet de loi a d'abord été résumé dans un document intitulé : « Quelques éléments de synthèse et de comparaison ». Quant au texte de loi, il a été libellé ainsi : Avant-projet de loi modifiant la Loi sur l'instruction publique (1997).

Cette analyse prend en considération les deux documents mentionnés ci-devant et veut surtout mettre en évidence les aspects suivants de la réforme :

  1. Les intentions perçues ;
  2. Les conflits potentiels ;
  3. La reddition de comptes ;
  4. Le germe de bien des possibles imprévisibles ;
  5. « Les activités de perfectionnement convenues » ;
  6. Les enseignants : où sont-ils ?
  7. L'Avant-projet de loi : une étoffe rapiécée

Quelques abréviations

CE : Conseil d'établissement
CEQ : Centrale de l'enseignement du Québec
CS : Commission scolaire
DE : Directeur d'école
DG : Directeur général
LIP : Loi sur l'instruction publique
MEQ : Ministère de l'Éducation du Québec

1. LES INTENTIONS PERÇUES

  1. Donner plus de pouvoir à l'école;
  2. Établir un conseil d'établissement par école;
  3. Déconcentrer le pouvoir de l'école de la commission scolaire;
  4. Positionner la commission scolaire comme instance intermédiaire entre le CE et le MEQ;
  5. Accorder plus de pouvoir aux enseignants (?);
  6. Maintenir les grands pouvoirs généraux de coordination au MEQ;
  7. Accroître la marge de manoeuvre nécessaire pour le DE;
  8. Associer le CE et le DE dans la direction de l'école;
  9. Faire une place au parents dans le Comité de parents et au CE (50/50);
  10. Créer trois types d'établissements avec trois régimes pédagogiques distincts;
  11. Impliquer la CS et l'école dans les services à la communauté;
  12. Assurer les services de garde à la petite enfance (rôle du CE);

2. LES CONFLITS POTENTIELS

  1. La déconcentration est un concept flou en gestion;
  2. La bicéphalité de la direction d'école (CE/DE);
  3. L'étendu des tâches du DE et les pouvoirs réels qu'il possède ou possédera;
  4. Le partage des ressources de la commission scolaire devra faire l'objet d'intenses négociations annuelles;
  5. Les contradictions entre les pouvoirs de la CS et ceux du CE au sujet de l'enseignement religieux;
  6. La reddition de comptes de la CS et du CE;
  7. Le double pouvoir d'autorité, soit celui du CE et celui du DG, sur le DE;
  8. La faiblesse réelle des pouvoirs donnés aux enseignants;
  9. Le leurre des pouvoirs accordés au CE;
  10. Le lien des DE avec le DG par le comité consultatif de gestion;
  11. Le caractère flou dans le processus du choix des critères de sélection des DE;
  12. La combinaison des articles 36 et 67 peut avoir un impact considérable sur les limites réelles des pouvoirs du DE;
  13. Par contre, le rôle prévu au DE dans l'avant-projet de loi risque de rendre presque caduc le rôle des CE ;
  14. Les enseignants ont peu de pouvoir(s) [doivent-ils en avoir ?].

3. LA REDDITION DE COMPTES

En intégrant l'Avant-projet de loi dans la LIP (1988), on retrouve deux articles finalement en en rapport avec la reddition de comptes.

74. Le conseil d'établissement informe la communauté que dessert l'école des services qu'elle offre et lui rend compte de leur qualité. (Cf. Avant-projet de loi, art. 11.)

220. La commission scolaire prépare un rapport annuel contenant un bilan de ses activités pour l'année scolaire et un rapport sur les activités éducatives et culturelles de ses écoles et de ses centres d'éducation des adultes [Le centre de formation professionnel n'est pas inclus. Est-ce un oubli ?]. Elle transmet copie de ces rapports au ministre.

Elle informe la population de son territoire des services éducatifs et culturels qu'elle offre et lui rend compte de leur qualité, de l'administration de ses écoles et de ses centres d'éducation des adultes et de l'utilisation de ses ressources. (Art. de la LIP (1988) maintenu.)

Essayons de comprendre ces doubles mécanismes pour rendre compte (mais est-ce ce qu'on peut appeler cela de la reddition de comptes?). Si l'on comprend bien la responsabilité du CE, celui-ci devrait rendre compte de ce qu'il fait à la communauté locale. Ce CE est autonome par rapport à la CS. De son côté, la CS doit rendre compte de la qualité des services qu'elle offre. Est-ce que cela concerne uniquement la manière de gérer la CS sans égard aux extrants éducatifs? Le simple fait de devoir « répartir les ressources de façon non discriminatoire et équitable entre les écoles », « en tenant compte des besoins dont lui font part les conseils d'établissements », n'est pas une mince tâche pour la CS, si les CE sont suffisamment (ou réellement) autonomes. Un CE pourrait-il rendre compte de ce qu'il n'aurait pas obtenu de la CS dans la répartition raisonnable des ressources? Par ailleurs, on sait que le CE assume la fonction consultative sur certains sujets stratégiques dont les critères de sélection de la directrice ou du directeur de l'école. Pour quelles raisons le législateur prend-il cette précaution ou, encore, prend-il ce risque ? Ses motifs ne sont certainement pas frivoles ! Mais il y a sûrement là un conflit latent qui peut être très grave pour le bon fonctionnement de la CS et des CE. Quel pourra être le rôle effectif du DE dans une telle situation ?

La Loi nous dit que le CE et la CS doivent « rendre compte de leur qualité », c'est-à-dire des services qu'ils offrent. Ces deux pouvoirs doivent donc nous parler des services qu'ils assument dans la même institution. Voilà le constat. Mais cela ne pourrait-il pas paraître un peu spécial aux yeux de la population ? On peut comprendre facilement que le CE et la CS doivent rendre compte, mais il faudrait un peu plus de cohérence dans cette affaire !

Il existe déjà dans la LIP (1988) deux articles utiles au sujet de l'évaluation.

243. La commission scolaire participe à l'évaluation faite périodiquement par le ministre du régime pédagogique, des programmes d'études, des manuels scolaires et du matériel didactique requis pour l'enseignement des programmes d'études établis par le ministre et du fonctionnement du système scolaire.

459. Le ministre veille à la qualité des services éducatifs dispensés par les commissions scolaires. Pour l'exercice de cette fonction, il peut [mot ajouté par l'art. 90 de l'Avant-projet de loi] établir des modalités d'application progressive des dispositions des régimes pédagogiques relatives à la liste des matières et aux règles d'évaluation et de sanction des études.

Ces deux articles permettent déjà au ministre de s'enquérir de la « qualité des services éducatifs dispensés » et de voir au bon « fonctionnement du système scolaire ». La question fonda- mentale concerne la volonté d'agir du ministre : Veut-il faire de l'évaluation ? C'est oui ou c'est non. Si oui, alors des dispositifs reconnus doivent être mis en place ; si non, l'évaluation se fait au petit bonheur des crises et de l'opinion publique (pression des médias, des politiciens, des associations de professeurs, des syndicats, etc.). À cet égard, l'Avant-projet de loi n'ajoute pas grand chose, sauf sur le « peut » établir... (cf. art. 459).

4. LE GERME DE BIEN DES POSSIBLES IMPRÉVISIBLES

On peut penser que les auteurs de cet Avant-projet de loi ne semblent pas se satisfaire uniquement de l'évaluation du rendement des élèves aux examens comme « indicateurs de santé » de notre système scolaire. Conséquemment, on peut donc facilement imaginer que d'autres voies sont susceptibles d'exploration afin de répondre à l'article 459 actuel ainsi qu'à l'article 243 de la LIP (1988). Par ailleurs, on ne saurait négliger les articles 19 et 22 de la même loi ainsi que la clause 8-2.01 de la Convention collective (CEQ). Par ailleurs, il faudrait tenir compte de l'évolution de l'application des articles 74 de l'article 11 de l'Avant-projet de loi et 220 de la LIP (1988). Tout cela étant dit, il n'est pas évident (hélas !) qu'avec l'article 11 de l'Avant-projet de loi aux articles 36 et 67, on parvienne à rendre la compréhension de l'étendu et des limites de l'évaluation très facile à déterminer. Il faudra être très imaginatif pour voir clair dans tout cela et très perspicace pour devenir un peu inventif. Il se peut que le tout baigne dans le statu quo ante. Citons les articles 36 et 37.

36. L'école est un établissement d'enseignement destiné à assurer aux personnes visées à l'article 1 les services éducatifs prévus par la présente loi et le régime pédagogique établi par le gouvernement en vertu de l'article 447 [voir 67 pour la suppression des §§ 9o et 9.1o ] Elle est aussi destinée à collaborer au développement social et culturel de la communauté. Elle réalise sa mission dans le cadre d'un projet éducatif élaboré, réalisé et évalué périodiquement avec la participation des élèves, des parents, des enseignants, des autres membres du personnel de l'école, des représentants de la communauté et de la commission scolaire.

67. Le conseil d'établissement détermine les orientations et le plan d'action de l'école, voit à leur réalisation et procède à leur évaluation. Pour l'exercice de ces fonctions, le conseil d'établissement s'assure de la participation des personnes intéressées par l'école. À cette fin, il favorise l'information, les échanges et la coordination entre les élèves, les parents, les enseignants, les autres membres du personnel de l'école et les représentants de la communauté, ainsi que la participation des parents à la vie de l'école et à l'éducation de leur enfant.

Ces deux articles, mis côte à côte, peuvent être le germe de bien des possibles très imprévisibles.

5. LES ACTIVITÉS DE PERFECTIONNEMENT CONVENUES

Un autre aspect de l'Avant-projet loi rejoint nos interrogations précédentes : le perfectionnement des enseignantes et des enseignants. À notre avis, il n'y a rien de très limpide au sujet de la prise en charge par ces derniers de leur propre perfectionnement. Il est bien écrit que le directeur doit « organiser les activités de perfectionnement convenues avec les membres du personnel ». Mais pourquoi le mot « convenu » ? Et si ce n'est pas convenu, que se passe-t-il ? Et si c'est convenu, qui prépare le programme de perfectionnement ? Pourquoi, en ce qui concerne au plus haut point les enseignantes et les enseignants eux-mêmes, ces derniers ne seraient pas partie prenante d'une gestion participative en cette matière ? Cette inversion de la direction du pouvoir en assignant au DE le pouvoir de décider sur la « recommandation des enseignants » est symptomatique des intentions du législateur (voir p. 10 du document de synthèse portant sur l'Avant-projet de loi). Est-ce la bonne direction à suivre? Veut-on faire disparaître les comités dits paritaires entre les enseignants et les CS? Que voulons-nous vraiment améliorer? Ces questions sont d'autant plus pertinentes que, par ailleurs, le DE ne peut pas prendre, à lui seul, de décision sur les matières relevant du pouvoir de recommandation des enseignants? Dans ce cas, est-ce que l' « instance décisionnelle » émane des enseignants et le DE devient un gestionnaire des « recommandations des enseignants » (voir p. 8 du document de synthèse au sujet des matières que nous pourrions qualifier de pédagogiques ou l'article 97 de l'article 11 de l'Avant-projet de loi) ?

6. LES ENSEIGNANTS : OÙ SONT-ILS ?

Le nouveau CHAPITRE III de la LIP concernant L'ÉCOLE est divisé en trois SECTIONS :

  1. La constitution ;
  2. Le conseil d'établissement (CE) ;
  3. Le directeur d'école (DE).

Il faut conclure qu'aucune section en tant que telle ne vise les enseignants. Qui sont-ils et que font-ils à l'école ? Les articles 41, 97 et 100 de l'article 11 de l'Avant-projet de loi nous éclairent un peu. Il y a bien sûr, par ailleurs, les conventions collectives. Par exemple, en ce qui à trait au perfectionnement des enseignants, les mécanismes de participation sont prévus et organisés au plan local à l'intérieur d'un comité dit paritaire. Dans quelle mesure le troisième alinéa de l'article 100 est-il en accord avec les conventions collectives ? J'imagine qu'il faudrait éclaircir ce point avec les responsables des relations de travail !

7. L'AVANT-PROJET DE LOI : UNE ÉTOFFE RAPIÉCÉE !

À notre avis, cette analyse reflète l'état d'esprit véritable de la réforme plutôt que son discours officiel. Entre le discours et l'action, il y a souvent une distance qui peut être aussi grande que de la coupe aux lèvres. Dans cet Avant-projet de loi, les auteurs de la réforme n'ont pas bien mesuré la distance entre les faits et les intentions, la vie et les idées, la réalité et les discours, bref la faiblesse des fondements conceptuels de leur projet. Nous n'avons que des morceaux d'un pot recollé !

Bruno Deshaies


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