Dubuc, Laforest et Lisée discutent sur le « Comment s’en sortir ? »
Animateur et animatrice : Jean-François Lépine et Geneviève Asselin

Vigile.net : Chronique du jeudi 13 avril 2000. Révisée le 3 mai 2010

Le style des émissions de la Société Radio-Canada comporte une bonne dose de propagande souvent subliminale et parfois brutale. De 13 heures à 16 heures, le dimanche 9 avril 2000, la chaîne de télévision RDI a été complètement mobilisée et, pendant 75 minutes, les deux chaînes de la même Société ont été réquisitionnées pour faire un lessivage de cerveaux des Québécois et des Québécoises. De plus, et c’est un comble, le forum de 75 minutes a été rediffusé, en soirée, à 19 heures 30, soit l’équivalent de quatre heures 15 minutes dans la même journée. Tout cela, à partir d’un sondage d’opinion seulement ! Comme on connaît parfaitement leur orientation fédéraliste, il est compréhensible que les animateurs professionnels de la Société brouillent les pistes et rendent le débat toujours plus confus. Où est Télé-Québec ?

Des questions et des affirmations pseudo-réalistes

La recette est connue. Il faut procéder par questions et par affirmations pseudo-réalistes. Au début de l’émission télévisée, on dramatise : on mentionne « L’avenir constitutionnel du pays », « Les relations Québec-Canada » et on parle d’« une émission spéciale. » Nos experts de la question nationale aiment bien multiplier les questions et farcir leurs discours d’affirmations. Par exemple, le style du communiqué de presse de la Société Radio-Canada reflète cette technique de communication. « Comment s’en sortir ? » « Peut-on poser autrement la question de l’avenir du Québec ? » « Comment peut-on faire avancer le débat ? » « Est-il possible de faire avancer la « question nationale » en dehors des cadres d'un référendum sur la souveraineté ou la souveraineté-association ? Est-il possible de réfléchir différemment sur une question qui polarise l'opinion depuis si longtemps ? [...] » Une affirmation complète cette série de questions : « Une réflexion d'un grand intérêt à la télévision de Radio-Canada. » Cela allait de soi ! (1)

À la question « Comment peut-on faire avancer le débat ? », le communiqué de presse note : « Différentes avenues sont envisagées. Néanmoins, TOUS LES SONDAGES CONFIRMENT LA LASSITUDE DES QUÉBÉCOIS FACE À CE QU'IL EST CONVENU D'APPELER « LA QUESTION NATIONALE » ET LEUR PEU D'INTÉRÊT POUR UN NOUVEAU RÉFÉRENDUM SUR LA SOUVERAINETÉ. » (Les majuscules sont de nous.) Et voilà l’affirmation qu’on tente de nous imposer, de nous faire admettre et intérioriser. Un animateur d’expérience, Jean-François Lépine et une animatrice bien connue, Geneviève Asselin, sont chargés de porter le drapeau canadian.

Monsieur Tout-le-monde est-il si fatigué ?

Ceci dit, pourquoi la Société Radio-Canada s’évertue-t-elle à nous bourrer le crâne de débats sur une question actuelle qui nous plonge dans la « lassitude » et marque notre « peu d’intérêt » ? Si le débat portait sur les vraies questions ou la vraie question, serions-nous aussi las à vouloir débattre du véritable problème ? Monsieur Tout-le-monde n’est pas « fatigué » des chicanes, il est lassé de constater qu’on s’acharne à faire durer le débat et à être incapable de trancher la question d’une manière objective.

À cet égard, tous les Canadiens et tous les Québécois auraient intérêt à lire l’Histoire de deux nationalismes au Canada (Guérin, 1997) par l’historien Maurice Séguin. Ils pourraient commencer à exorciser leurs démons historiques quand ce ne sont pas leurs démons idéologiques et réducteurs. Mais plus grave encore, il faudrait combattre certains comportements « négationnistes » (cf. http://www.rond-point.qc.ca/suggestions/historiens.html ) au sujet de notre propre histoire nationale comme « nation canadienne-française ». (2) D’aucuns, à l’occasion de ce débat télévisé, ont même suggéré de se débarrasser de la devise du Québec ! En quoi le souvenir et la mémoire seraient-ils devenus tout à coup de mauvais partenaires de l’histoire québécoise ?

Tout un courant d’études historiques au Québec propose de réécrire l’histoire du Québec ex nihilo en vue de construire une nation québécoise toute nouvelle libérée du poids de son Histoire. (3) John Saul , Gérard Bouchard, Jocelyn Létourneau et d’autres, mais pour des raisons différentes, sont de cette école de pensée. Dans cet esprit, tout le courant de pensée sur le thème d’une société (québécoise-française) qui souffrirait du syndrome de la « victime », du misérabilisme, de la défaite, même de l’absence d’être. est une invention des partisans de l’interprétation « fédéraliste » de notre histoire. Il en est ainsi de tous les souteneurs de la théorie de la « lassitude québécoise concernant la question nationale » ; ces derniers se profilent depuis plusieurs années et tentent de faire passer leurs opinions pour des vérités. Comme on peut le voir, les techniques de propagande ne sont pas nouvelles. C’est tout simplement un discours idéologique, c’est-à-dire une simplification de la réalité ou de la complexité. (4) Tout cela tient de la même logique que celle qui a trait à la privatisation des services publics, à la mondialisation, à la fin des États-Nations, etc.

Fédéralisme et nationalités

Dans Les Normes, Maurice Séguin aborde la question du fédéralisme et des nationalités qu’il considère comme l’un des deux aspects majeurs des normes (l’autre se rapporte à la colonisation). Il constate que « deux thèses principales se heurtent : la « foi » indépendantiste et la « foi » fédéraliste. » (Cf. http://www.rond-point.qc.ca/rond-point/histoire/seguin/normes-30.html )

Il nous semble que la situation des trois invités de Radio-Canada correspond à cette description de Séguin au sujet de la position d’un individu mis en présence des rapports entre « fédéralisme et nationalités ». Voici donc l’extrait des Normes sur cette question :

3.10.4 DIFFICULTÉ DE DÉFINIR LA POSITION D’UN INDIVIDU (5)

3.10.4.1 Qu'il se range dans l'école indépendantiste, dans l'école impérialiste ou dans l'école fédéraliste, il n'accepte pas tout (ordinairement) de la doctrine globale.

3.10.4.2 Et ces nuances varient selon les saisons.
¸
3.10.4.3 Et parfois l'individu change de camp.

3.10.4.4 Ou encore un même homme peut regarder différentes nations, dont la sienne, dans des optiques différentes, c'est-à-dire être « impérialiste » à l'égard de telles nationalités, être « indépendantiste » ou être « fédéraliste » à l'égard d'autres nationalités. (Mots mis en gras par nous.)

Par ailleurs, il est possible d’ « identifier d’autres écoles ». Par exemple :

3.10.5.1 L'école « franchement » impérialiste qui sait mesurer la valeur de l'indépendance pour la nation même qui la possède et aussi pour les autres nationalités auxquelles cette indépendance est refusée ;

3.10.5.2 L'école « franchement » indépendantiste...

3.10.5.3 L'école « franchement » fédéraliste...

3.10.5.4 Toutes ces écoles « franches » se rejoignent comme doctrine sur le nationalisme.

Ces quelques notes montrent que les Québécois et les Québécoises doivent apprendre à se définir clairement. Ils doivent aussi admettre que tous ne partageront pas leur point de vue ou leur optique souverainiste dans le sens de l’indépendance. Ils doivent, toutefois, se convaincre que la majorité a des droits et que ces droits ne peuvent être bafoués sans mettre en péril l’unité québécoise et la cohésion sociale générale.

Quel chemin veut suivre le Québec ?

Une société ne peut être divisée éternellement contre elle-même sous toutes sortes de prétextes de droits individuels qui contrecarrent le droit collectif d’un peuple à s’autodéterminer. Le groupe majoritaire doit admettre cependant qu’il a un travail de sape à faire s’il veut réaliser son projet en harmonie avec les communautés ethniques et culturelles qui l’habitent. Trop d’événements consécutifs démontrent que le Québec ne doit plus vivre prisonnier des tenants du fédéralisme à tout prix.

Le Québec trouvera sa voie à deux conditions. En premier lieu, lorsqu’il démontrera ouvertement que le chemin qu’il veut suivre est l’indépendance ; en second lieu, lorsqu’il se libérera de tout son discours romantico-politique sur les rapports entre les peuples et sur les mythes au sujet de l’histoire et de l’espace canadien. Les Québécois-Français n’ont aucune raison d’occulter leur histoire depuis la naissance du premier Canada avec Champlain, en 1608. Ils n’ont pas non plus à rougir de leur comportement après la Conquête et des luttes qu’ils ont dû entreprendre pour « survivre ». Ils doivent donc se dire que si le Québec-Français existe aujourd’hui, c’est principalement à cause de leur désir de ne pas se laisser assimiler. il est cependant essentiel qu’ils comprennent clairement qu’ils forment une nation annexée.

La libération collective du Québec exige la désannexation, la dé-provincialialisation, la dé-fédéralisation, bref : la fin de la dépendance structurelle aux plans politique, économique et culturel. Le Québec-Français doit établir officiellement de nouvelles relations interétatiques avec le Canada, ses voisins américains, la France et la francophonie ainsi qu’avec les autres pays du monde. De cette manière, il pourra être enfin libre collectivement de prendre les décisions qui seront les siennes – selon la conjoncture du moment – et non celles d’un autre qu’il doit appliquer comme l’autre le veut. Le cas du projet d’union sociale lancée et défendue âprement par Ottawa constitue le contraire même des relations interétatiques. Ce sont des relations DANS le régime ce qui nous ramène à l’union fédérale de 1867.

L’union fédérale de 1867

Selon l’interprétation de Maurice Séguin, il s’agit là d’« un pacte qui consacre l’annexion ». (6) Voici en quels termes il explique cette situation :

Les Canadiens-Anglais, désirant conserver des gouvernements locaux, ont consenti à ce que l'autonomie locale des Canadiens-Français sous l'union soit transformée en une autonomie provinciale mieux organisée sous le régime de l'union fédérale. Les Canadiens-Français, sous la direction de Cartier, ont collaboré à la transformation de l'union législative en une union fédérale centralisée. Ils ont donné leur consentement à une entente entre chefs des colonies du British North America, entente à laquelle on a voulu lui donner le nom de pacte. Mais on voit ici le sens très restreint qu'il faut donner à ces termes de « pacte » ou de « traité ». Il ne faut surtout pas penser que le Canada-Français avait, avec LaFontaine et Cartier, retrouvé son entière liberté d'entrer ou de ne pas entrer dans l'union fédérale de 1867, ni que le Québec est, avec l'Ontario, la Nouvelle-Ecosse et le Nouveau-Brunswick, le créateur de l'État fédéral - au moyen d’un pacte – et qu'advenant la violation de ce pacte, le Québec pourrait reprendre sa liberté.
Le Québec, d'ailleurs, eût-il été un État souverain en 1865, – c'est-à-dire un État qui aurait consenti librement à entrer dans une union fédérale – n'en serait pas moins annexé et on ne sort pas facilement d'une union fédérale qui dure depuis près d'un siècle. [Et maintenant depuis 143 ans et dans quelques années un siècle et demi de provincialisation.]

Et surtout, qu'on ne dise pas que le Canada-Français est en mauvaise posture parce que le pacte de 1867 n'a pas été respecté. C'est parce que le prétendu pacte de 1867 a été respecté dans ses grandes lignes et quant à son esprit, que les Canadiens-Français sont annexés, limités, provincialisés, comme il l'était déjà en 1841 et somme toute depuis la conquête.

Prendre conscience de cette interprétation de l’histoire canadienne, c’est s’ouvrir à une pensée autre sur l’histoire traditionnelle canadienne et québécoise. Cette conception de l’histoire n’est toutefois pas récente, elle remonte à 1946. Malheureusement, elle est occultée par les médias, les establishments intellectuels « négationnistes » et même parmi les troupes souverainistes – ce qui est une aberration inqualifiable. Cette situation inespérée profite à tous les fédéralistes et aux défenseurs de l’État canadien ou canadian.
Les tentatives de monopolisation idéologique

Une société démocratique vit des tensions qui surgissent au sein d’elle-même. L’équilibre qui s’établit atteint les consciences des individus qui croient que telles actions sont bonnes et que telles autres sont nuisibles, inacceptables ou inappropriées. Les choix sont affectés par les tentatives de monopolisation idéologique. Des individus ou des groupes cherchent à orienter les débats, à leur donner la coloration souhaitée et à présenter leurs solutions comme les meilleures, les plus pratiques ou les plus adéquates
– LE CAMP FÉDÉRALISTE

Le camp fédéraliste s’appuie sur la constitution canadienne et sur son rapatriement de 1982. Il jouit de l’appui d’une majorité de neuf provinces et du gouvernement central qui gère à son profit tout le « national » canadian. Depuis 1867, l’article 91 du British North America Act demeure intégralement et les modifications apportées en cours de route l’ont été, inévitablement, à l’avantage du gouvernement fédéral. Toute cette question a été très bien démontrée par Michel Brunet [(7) et voir infra un extrait du mémoire à l'Annexe.]
Le camp fédéraliste peut aussi s’appuyer sur la minorité anglo-québécoise et sur les groupes immigrants qu’elle a su angliciser à son profit. Il est aussi conforté par le nombre des anglophones en Amérique du Nord qui dépassent les 308 millions d’individus. Il profite du partage idéologique entre les citoyens et les citoyennes du Québec sur le statut politique du Québec. Les uns ne voient qu’un État provincial, d’autres souhaitent un État québécois national indépendant. Les deux camps idéologiques sont presque nez à nez.
Le camp fédéraliste jouit des prérogatives, des pouvoirs, des compétences et de la force de l’État canadian lui-même. Il détient donc les rennes d’un État-Nation indépendant avec tous les avantages que lui procure son status d’indépendance politique complète.
- LE CAMP DES SOUVERAINISTES
Le camp souverainiste, dominé par le Parti québécois, distille son programme politique qu’il révise depuis plus de trois décennies. De programmes politiques en plateformes électorales ou en projet de social-démocratie ou en une autre manière de gouverner, le Parti québécois n’en finit plus avec la question de la souveraineté. Il invente trop rapidement des solutions à des problèmes d’envergure et il tergiverse indéfiniment sur des histoires de langue commune, de filet de sécurité, de partenariat, d’union européenne, de mondialisation ou d’avenir de la culture québécoise française.

Le discours souverainiste stagne dans le courant romantico-politique. Par exemple, la conclusion de Bernard Landry à son Discours sur le budget 2000-2001 manifeste plus de rhétorique que de substance. (Cf. http://www.vigile.net/00-3/deshaies-8.html ) Le discours au sujet des communautés culturelles participe du même romantisme, c’est-à-dire de la même illusion nationale. On pense trouver la réponse à l’angoisse collective des Québécois dans la comparaison des nations en Occident, y compris le Québec. Le programme du Salon du livre de Québec des 12 au 16 avril 2000 nous annonçait une conférence de Gérard Bouchard où il serait question de confronter des « expériences collectives » en s’appuyant sur « l’histoire comparée » qui nous serait d’un précieux secours pour nous « révéler [ce] que les sociétés peuvent intérioriser très différemment des réalités similaires ». L’histoire comparée nous permettrait « aussi de déceler partout de fausses spécificités, des distorsions, des contradictions et de surprenants mutismes ». Cela est bien beau, mais si l’on comparait tout simplement le Québec et l’Ontario, on découvrirait assez rapidement que pour les Ontariens le régime fédéral canadien est principalement un système administratif de gouvernement tandis que pour les Québécois, la fédération canadienne est perçue comme un régime politique où l’autonomie gouvernementale des provinces est en quelque sorte un principe sacré. La réalité est plus complexe, comme le montre la citation de Maurice Séguin ci-dessus au sujet de l’union fédérale de 1867.

Les partisans du camp souverainiste pensent aboutir à leurs fins en proclamant haut et fort qu’ils sont souverainistes, mais qu’entre-temps il importe de résoudre des problèmes de société. Par exemple, la question de la nation pluriethnique et de la langue commune fait partie de la panoplie des sujets de discussions. Il sera toujours temps, après avoir réglé ces questions, de dénouer l’impasse de la « question nationale ». Malheureusement, la confusion entre le « social » et le « national » empêche de voir le véritable enjeu de l’unité québécoise et de la souveraineté du Québec.

Le camp souverainiste manque de cohésion. Il s’embourbe facilement dans les questions névralgiques comme la langue, son statut d’État indépendant, ses rapports avec les minorités ethniques ou culturelles, ses comportements face à l’État canadien et, surtout, ses rapports avec les Québécois-Français et, principalement, avec les souverainistes eux-mêmes. Il existe au Parti québécois une culture de fédéralisme inconscient qui ne facilite pas la clarification de sa position idéologique.

Il n’en demeure pas moins que deux idéologies opposées, la « foi » fédéraliste et la « foi » indépendantiste, s’affrontent au Québec sur le régime politique canadien. Chacun des camps essaie de monopoliser l’opinion publique en sa faveur. D’où l’importance pour les fédéralistes d’inscrire à l’antenne de la télévision canadienne, au Québec, cette émission sur « Comment s’en sortir ? » Madame Gretta Chambers, ex-principal de l'Université McGill, n’a pas hésité d’affirmer que l’ambivalence était un mythe et qu’en fait « l’idée d’une porte ouverte ou fermée ne vient à personne » ! Quelle franchise ! Trudeau n’aurait pas répondu mieux.

En effet ! « Comment s’en sortir ? »
La neutralité de la question comble un vide. Pourtant, la question est nulle. Elle devrait plutôt être : « Comment le Québec peut-il devenir indépendant ? » N’est-ce pas plus « clair » ? Cependant, il ne faut sûrement pas s’attendre, puérilement, à ce que la Société Radio-Canada s’investisse dans cette direction. C’est pourquoi les Québécois doivent être vigilants devant tous ces débats qui sont caducs au point de départ.

Le professeur et anthropologue de l’université Laval, Bernard Arcand, a exprimé le ras-le-bol généralisé au Québec au sujet des émissions d’affaires publiques qui ne consistent plus qu’à faire des commentaires sur des opinions et à émettre d’autres opinions sur celles qu’on a déjà formulées. Nous n’avons plus de débats d’idées. Il a même osé déclarer: « Attention à la lecture des résultats » du sondage au sujet de la « lassitude ». (Le sondage donnait 79 % et des poussières). Il ajoutait : « Ça ne veut pas dire que la question sous-jacente n’intéresse personne. Qui en parle ? Il se peut que ceux qui en parlent soient profondément ennuyeux. » Il fallait du cran pour faire cette affirmation devant Jean-François Lisée, Alain Dubuc, l’expert en sondages, les animateurs, les autres participants et participantes triés sur le volet et le public québécois en général. Bravo ! Souhaitons que le message passe !

(30)
Bruno Deshaies
http://www.rond-point.qc.ca/auteur/livres/histoire-de-deux-nationalismes-au-canada-7/

Québec, 13 avril 2000
Date de révision du texte : 3 mai 2010.

RÉFÉRENCE :

Maurice SÉGUIN, Histoire de deux nationalismes au Canada, Montréal, Guérin, 1997
(coll. « Bibliothèque d’histoire » sous la direction d’André Lefebvre). Préface par Bruno Deshaies.
ANNEXE

Michel Brunet

La primauté de l’État du Québec

//285// Le gouvernement et le territoire du Québec constituent l’État national des Canadiens français. Il y a quelques années [nous sommes en 1964], seule une très faible minorité de dirigeants Canadiens français reconnaissait ce fait qu’appuient trois siècles et demi d’histoire et de vouloir-vivre collectif de quelque cinq millions d’hommes et de femmes qui se disent Canadiens français du Québec. Aujourd’hui, qui ose le nier ?

Cette constatation, qui a si longtemps tardé, entraîne nécessairement une révolution politique. Il ne sert à rien de se le cacher. Une collectivité n’apprend pas soudainement que le nombre et la démocratie lui donne la maîtrise d’un État sans procéder aussitôt à une révision radicale des options politiques et idéologiques qu’elle s’était données à une époque où elle acceptait docilement de vivre en état de subordination. Les Canadiens français sont à la recherche d’une solution globale au problème de leur collectivité. Pour y parvenir, ils comptent sur l’action dynamique du gouvernement du Québec. Investi de la lourde responsabilité d’assurer le progrès collectif de la nation canadienne-française et la promotion sociale de ses membres, celui-ci est appelé à étendre considérablement ses pouvoirs. Il s’est engagé dans cette voie depuis quelques années [sous le gouvernement de Jean Lesage] mais il est de plus en plus évident que la constitution de 1867 ne répond plus aux exigences des Canadiens français de la seconde moitié du XXe siècle.

Les défenseurs de l’ordre établi invoquent l’Acte de l’Amérique du Nord britannique et les impératifs de l’unité nationale. Ces arguments ne peuvent impressionner que la majorité anglo-canadienne puisqu’ils servent ses intérêts nationaux [canadians]. Un Canadien français du Québec conscient des défis auxquels fait face sa nation, ne peut que refuser de les recevoir. Une constitution se change lorsqu’elle ne répond plus aux demandes de millions de citoyens décidés à se comporter en majorité sur le territoire où ils forment 80 % de la population et à se donner les cadres politico-économiques nécessaires à //286// leur progrès. Quant à l’unité nationale, quiconque a étudié l’histoire du Canada sait qu’elle n’a toujours été qu’un moyen de coercition entre les mains de la majorité anglo-canadienne. Chaque fois que l’unité nationale [canadian] a triomphé c’est parce que les Canadiens français se sont inclinés devant le Canada anglais. Cette époque semble révolue. Le plus sage c’est de l’oublier et de construire l’union canadienne en partant de nouvelles prémisses et en s’appuyant sur de nouvelles bases.
__________________

N. B. Consulter infra la référence à la note no 7. Cet extrait du Mémoire de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal au Comité parlementaire de la constitution du gouvernement du Québec (1964) annonce la souveraineté-association de René Lévesque en 1968. Cette lutte entre deux options fédéralistes au sujet de l'Option Québec dans l'esprit d'une nouvelle union canadienne. Le cancer qui ronge les souverainistes frileux et attentifs aux projets de fédération entre états indépendants à l'exemple du cas de figure de l'union européenne. Quand ce n'est pas cette idée, ils rêvent d'une révolution politico-démocratique au sein du grand tout canadian en s'imaginant atteindre l'indépendance du Québec au sein d'une grande union pancanadienne d'un nouveau style sans qu'on sache à quel monstre pourrait ressembler cette nouvelle bête politique postmoderne.

NOTES
(1) Nous avons dénoncé cette forme de pensée dans un article antérieur au sujet de la science historique. (Cf. « Importance du sujet » dans http://www.vigile.net/00-4/deshaies-10.html )

(2) Cette mentalité se retrouve dans Michel Venne, dir., Penser la nation québécoise. [Textes présentés à l’occasion d’un colloque tenu à l’Université McGill en octobre 1999.] Montréal, Québec Amérique, 2000, 309 p. (coll. « Débats » no 5). Cet ouvrage a été préparé et publié grâce à l’appui du Fonds Desjardins du Programme d’études sur le Québec (PÉQ) de l’Université McGill. La collection « Débats » est dirigée par Alain-G. Gagnon, professeur titulaire au Département de science politique et directeur du Programme d’études sur le Québec (PÉQ) de l’Université McGill. Monsieur Gagnon était l’invité spécialiste de l’émission de la Société Radio-Canada, du 9 avril 2000, sur « Comment s’en sortir ? »

(3) Voir les articles publiés dans Le Devoir, au cours de l’été 1999, sous le thème « penser la nation québécoise... » (Cf. supra note 2). L’historienne Andrée Ferreti a vu juste dans ce débat lorsqu’elle a écrit, récemment, dans L’Action nationale : « ILS N'ONT PAS PENSÉ LA NATION QUÉBÉCOISE. Ils en ont fabriqué une de leur cru. » (Cf. http://www.rond-point.qc.ca/revues/an/default.htm )

(4) Une suggestion de lecture pour tous ceux qui seraient intéressés par la question de la « psychologie de l’historien », consulter Herbert Butterfield, The Whig Interpretation of History, Londres, G. Bell and Sons, Ltd, 1931/1968, 132 p. En livre de poche en 1994. Maintenant disponible en ligne (cf. http://www.eliohs.unifi.it/testi/900/butterfield/ )

(5) Texte disposé selon le système décimal de références établit par Le Rond-Point des sciences humaines. Un extrait sur http://www.rond-point.qc.ca/rond-point/histoire/seguin/sociologie-04.html Voir aussi, Les Normes de Maurice Séguin, édition Tousignant (Guérin, 1999), p. 193.

(6) Histoire de deux nationalismes au Canada, Guérin, 1997, p. 398-399.

(7) Il s’agit en particulier du Mémoire de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal au Comité parlementaire de la constitution du gouvernement du Québec (1964). « L’auteur [Michel Brunet] a rédigé les quatre premiers chapitres de ce mémoire au cours desquels il expose la nature du fédéralisme, le caractère originel de 1867, ses transformations durant le siècle qui suivit et les principales étapes de l’évolution historique de la collectivité canadienne-française depuis la Conquête jusqu’à la présente décennie. Le dernier chapitre qui recommandait l’adoption d’une nouvelle constitution canadienne et la création de deux États associés a été supprimé car il représentait exclusivement les vœux du Conseil général de la Société Saint-Jean-Baptiste et de son comité du mémoire. (p. 233-234) » Ce mémoire a été reproduit dans Michel Brunet, Québec Canada Anglais. Deux itinéraires. Un affrontement, Montréal, Les Éditions HMH, 1968, 309 p. (Coll. « Constantes » 12), sous le titre « LE FÉDÉRALISME, L’ACTE DE L’AMÉRIQUE DU NORD BRITANNIQUE ET LES CANADIENS FRANÇAIS » (p. 231-286). Deux « Conclusions » terminent le mémoire : 1) La création d’États associés ; 2) La primauté de l’État du Québec.