Rond-Point Histoire Histoire du Québec (1760 à nos jours) / Évolution historique du « deuxième » Canada Chaire de civilisation canadienne-française (1953-1956)


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Évolution économique, sociale et politique du canada-français (1760 à nos jours)

2e cours

III

Expulsée d'Amérique par l'Empire anglais, la France laisse tomber son œuvre de colonisation en Canada. Le Canada est arraché trop jeune à ses sources irremplaçables de colonisation. Non seulement il se voit encore diminué « quantitativement » par rapport à la colonisation anglaise, mais il subit une défaite qui altère profondément sa structure et le déclasse « qualitativement ». L'intégrité, la qualité n'y est plus ; la quantité manque d'avantage.

La fin des relations suivies entre le Canada français [3] et la France entraîne pour le premier, en tant que groupe ethnique, une désorganisation et un appauvrissement collectifs. Elle chasse les Canadiens des activités économiques payantes (grand commerce), elle les prive de l'accès aux sources de capitaux, elle démolit leurs cadres politiques, etc. Frappée à la tête, la colonie subit une terrible décapitation sociale. La plupart des dirigeants de la vie économique et politique - qu'ils soient français ou canadiens - rentrent en France. Le nouveau milieu paralysera et éliminera ceux qui osent rester. Ce n'est plus une colonisation intégrale à laquelle participent les agriculteurs, marchands, industriels, fonctionnaires, militaires, canadiens ou français, nécessaires les uns les autres. Il ne surnage plus qu'un agrégat de paysans que dirige tant bien que mal un reliquat de chefs improvisés. Le Canada français perd et ne peut plus retrouver les dirigeants, les doctrines, les techniques et les capitaux nécessaires à l'édification d'une nation moderne. Après 1760, le Canada français n'est plus qu'une loque, l'ombre de ce qu'il était auparavant.

À côté des restes du Canada français, privé de tout appui extérieur sérieux et pourtant décapité et démuni en politique et en économique, les colonies anglaises (les futures États-Unis) fouettées par leur obtention de leur indépendance politique, conserveront, intensifieront même leurs contacts avec les forces colonisatrices de la Grande-Bretagne, augmenteront leur puissance et deviendront un pays d'attraction irrésistible pour les canadiens-français désorientés et tombés en étroite paysannerie.

Sur les ruines du premier Canada vaincu, un deuxième Canada, un Canada anglais, œuvre de la Métropole anglaise, commencera dès 1760 à se former intégralement. Des hommes d'affaires anglais, des immigrants anglais, des institutions anglaises, des techniques et des capitaux anglais viendront pas reprendre et parfaire le Canada français ! Ce Canada vainqueur s'installera aux postes-clefs de la grande vie économique et politique interdisant au Canada vaincu tout redressement substantiel, lui permettant tout au plus de ne recueillir que les miettes de la prospérité et de la liberté d'autrui.

Seule la France, qui avait donné la vie au Canada français, aurait pu lui apporter la prospérité et la liberté. Que la France renonce à son rôle de métropole, (penser qu'un rival l'expulse ou parce qu'elle-même n'est plus intéressé - qu'importe) et c'est la ruine. En 1760, le retrait de la France de la vie canadienne constitue, sur le plan humain, pour les canadiens-français, en tant que groupe, un désastre irréparable. Elle les fige dans la quiétude d'une survivance sans issue. Elle condamne le Canada français à devenir un appendice provincial ballotté par les grandes colonisations anglaises réussies d'Amérique. Une civilisation parasitaire à la remorque d'un puissant voisin et d'un maître sur place.


  1. C'est-à-dire, ces Français habitant le Canada, l'une des colonies de l'Empire français formant la Nouvelle-France avec l'Acadie et la Louisiane.

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