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Défense de l'autonomie de l'État provincial

Après avoir établi sa conception du fédéralisme, Dunkin se lance à la défense de l'autonomie de l'État provincial. Son plaidoyer doit toutefois être nuancé, car Dunkin n'a jamais voulu mettre en danger l'union fédérale de 1867. Il a simplement montré que les provinces avaient plus d'importance que certains leur attribuaient et qu'il ne fallait pas sous-estimer les pouvoirs réservés aux provinces. À cet effet, il soutenait contre ceux qui voulaient assimiler les gouvernements provinciaux à des conseils municipaux, mais en plus grand, que « les provinces sont les auteurs des municipalités ». Il ajoutait : « Les municipalités sont nos créatures et nos inférieures. Nous ne sommes pas seulement à la tête du régime municipal ; nous sommes au-dessus de ce régime ; nous sommes leur maître et leur créateur. (95) »

Cette affirmation, logique et claire, répond exactement à la réalité. De plus, souligne Dunkin : « Aucune des fonctions du gouvernement provincial n'a un caractère municipal. (95) » Cette affirmation conduit le trésorier à expliquer le genre de relations qui doit exister entre le Dominion et les Provinces. Pour lui, il s'agit de relations de coordination. « Le caractère que [l'autorité provinciale] possède, déclare-t-il, tient plus de la coordination, car il dérive de la même autorité. C'est une partie des pouvoirs de tout le système général qui n'est ni supérieure ni inférieure, ni plus grande ni plus petite ; c'est une séparation des pouvoirs reposant sur un arrangement politique de raison ou de commodité. (95) » En d'autres termes, c'est du « bonne-ententisme ». Mais Dunkin insiste, néanmoins, sur l'importance des législatures provinciales à l'intérieur du système fédéral..

Pour le trésorier du Québec, les gouvernements provinciaux jouissent d'un degré plus élevé d'autonomie ou d'indépendance que le gouvernement fédéral lui-même. Son argumentation, bien qu'assez faible, a une valeur plutôt symbolique que réelle. La preuve qu'il avance se ramène à l'idée suivante : «... la loi du Parlement britannique qui a créé les deux niveaux de gouvernements3 nous a laissés presque absolument maître (« almost absolute masters ») de notre constitution, tandis que le gouvernement fédéral, sous aucune base théorique, n'est maître de la sienne.[...] Le gouvernement du Canada ne peut amender sa constitution sans avoir recours au Parlement de Londres afin d'obtenir sa permission. À cet égard, nous sommes loin d'être subordonnés au gouvernement fédéral. Et, en règle générale, nous ne sommes pas subordonnés.4 (95) »

On voit bien le sophisme de cette argumentation qui tend à restituer plus de pouvoirs aux gouvernements provinciaux qu'ils en ont en réalité. Cela s'explique aisément si l'on comprend l'optique dans lequel Dunkin expose le fonctionnement du fédéralisme canadien. Il rejette toute attitude qui tendrait, dans un cas, à la centralisation excessive ou, dans l'autre, à un morcellement nuisible pour l'union fédérale. Sur ce point, nous l'avons vu, Dunkin est explicite. Et cela vient atténuer les explications du trésorier québécois concernant l'indépendance des gouvernements locaux lorsqu'il déclare que « nous ne sommes pas généralement soumis à aucune autorité (95) ». En réalité, il veut dire que les rouages provinciaux sont suffisants pour assurer une certaine autonomie locale (rien de plus) et qu'il serait inepte de soutenir que les législatures locales ressemblent à des municipalités. Au contraire, les gouvernements provinciaux ont un rôle de prime importance à jouer pour l'avenir du Canada puisque « les pulsions de la vie sociale seront plus sérieusement affectées par ce qui se fera ici que par les actes du Parlement d'Ottawa » (96). Et cela, ajoute-t-il, « est encore d'une plus grande vérité pour la province de Québec » (96). Cette nuance laisse apercevoir le rôle que devrait exercer les provinces dans le fonctionnement du « système » fédéral. Et dans ce cas, si les pouvoirs dévolus aux législatures locales sont très importants, il va de soi que les détenteurs du pouvoir local devront accomplir leur tâche « de la manière la plus professionnelle avec des gens de qualité supérieure » (96). À ce moment-là, Dunkin se faisait l'écho de Chauveau qui voulait doter le Québec d'une Fonction publique compétente et efficace.

3 La traduction des journaux de l'époque parle plutôt « de deux systèmes ».

4 La traduction de l'époque donne : « Sous ce rapport, nous sommes loin d'être soumis à son autorité. Nous ne sommes pas généralement soumis à aucune autorité. » Cf. débats, 14 février 1868, p. 147.

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