Rond-Point : Histoire : Maurice Séguin : Les Normes : Présentation : Sommaire


INTRODUCTION


Les Normes, 0,4

Rôle primordial des normes en histoire

Maurice Séguin présente sa conception de la connaissance historique et du rôle de l'historien dans son Introduction au cours sur Les Normes. Cette subdivision 0,4 des normes est très importante, car elle indique que l'historien a l'obligation de faire connaître ses normes, c'est-à-dire de faire savoir sous quel angle il photographie ou qu'il étudie sont objet d'histoire. De plus, " ce travail se fait à travers un homme, avec sa mentalité " (0,4,5,1). Donc : " il y a du personnel dans tout récit (malgré l'effort pour l'éliminer), ajoute-t-il, mais se servir d'une bonne et juste mesure pour juger les faits augmente le contenu objectif du récit qui n'est pas sans valeur pour les autres. (0,4,5,2) "

Cette lecture vous fera prendre encore plus conscience de l'immense différence entre l'histoire-récit et l'histoire-synthèse ou explicative. D'ailleurs, les normes varient selon les sujets traités en histoire. Séguin écrit : " Il y a toute une gamme dans l'importance des sujets traités en histoire. L'anecdote de petite histoire, le récit de bataille, d'une exploration... une biographie, l'histoire d'une guerre, l'histoire d'un développement scientifique ou artistique, l'histoire de l'évolution politique, économique ou sociale d'un peuple, etc., ne requièrent pas le même bagage de normes. (0.4.3.1) " D'où leurs importances dans l'interprétation de l'histoire du Canada et du Québec.

La différence d'interprétation de l'histoire du Canada par l'historien Maurice Séguin et par l'École historique de Montréal en rapport avec leurs prédécesseurs et avec ceux qui les ont suivis est indéniable. Elle montre à quel point les préjugés peuvent être tenaces à leur égard. Le public d'aujourd'hui fait même face à une conspiration du silence à peine voilée et à une forme d'ostracisme de la part des intellectuels et des médias envers cet historien plus particulièrement.

Quand les fossoyeurs de notre histoire prendront-ils le temps de lire Séguin ? Quand auront-ils le courage et l'honnêteté intellectuelle d'étudier son cours sur Les Normes et aussi de faire l'effort pour comprendre sa synthèse explicative de l'Histoire de deux nationalismes au Canada ? Quand commenceront-ils à admettre la force incroyable de sa reconstruction historique par rapport à notre situation présente au Québec ? Un défi leur est lancé. Est-ce qu'un dialogue est possible ? À quand le discours de vérité entre Québécois-Français ?

De l'Introduction au cours sur Les Normes nous retenons la subdivision 0,4 qui porte sur le " Rôle primordial des normes en histoire ". Cette section fait par conséquent partie de notre " Petite leçon sur l'histoire 101 du Québec " publiée dans notre chronique du jeudi 9 mai 2002 sur le site Internet VIGILE.NET. Elle s'insère parfaitement en appendice à cette " petite leçon 101 ". Une réflexion profonde s'impose aux Québécois-Français et surtout pour tous ceux qui se prétendent des souverainistes.

Bonne lecture !

Bruno Deshaies
Ste-Foy, 9 mai 2002

0.4.1 Omniprésence du choix

0.4.1.1 [Obligation de choisir]

Chaque étape de l'oeuvre historique implique l'obligation de choisir, c'est-à-dire de porter un jugement.

0.4.1.2 [Choisir un sujet digne d'être étudié]

Concentrer ses recherches sur tel sujet, le croire digne d'être étudié, c'est d'une certaine manière attacher de l'importance à telles séries de faits et c'est déjà faire un choix.

0.4.1.3 [Faire un choix dès les premières démarches de l'heuristique.]

Lorsque les sources surabondent, l'on doit se borner à celles que l'on estime les plus révélatrices et - en les dépouillant - lire et noter ce qui apparaît comme le plus important, comme l'essentiel. Dès les premières démarches de l'heuristique, l'on est forcé de choisir et de juger.

0.4.1.4 [Peser les données et sans cesse discerner et opter]

Puis s'impose une analyse plus serrée des documents retenus. C'est la critique proprement dite. Peser chaque donnée, accepter les unes comme véridiques, rejeter les autres comme erronées ou mensongères ou partiales, c'est sans cesse discerner et opter.

0.4.1.5 [Dans toute reconstruction historique, l'historien juge et choisit]

Enfin, toute reconstruction historique, toute présentation (même la plus impersonnelle en apparence) est une interprétation. Une simple compilation de textes suppose la plupart du temps un choix et par là est nécessairement l'expression d'une tendance. La chronologie la plus dépouillée se révèle une sélection. Et quand l'exposé se veut explicatif et que l'on entreprend de démêler les causes, de partager les responsabilités, d'expliciter l'interaction et l'interdépendance des événements ou des structures, l'intervention de l'historien qui choisit et juge éclate à chaque instant.

0.4.2 Nécessité de choisir selon les normes
0.4.2.1 [Tout choix se fait d'après un mode de penser]

Tout choix se fait (que l'on en soit conscient ou non) d'après un mode de penser, d'après des critères, d'après une échelle de valeurs, une façon de comprendre les rapports entre les événements ou les structures,

0.4.2.2 [Tout choix se fait d'après un système de normes]

bref, d'après un système (plus ou moins juste, cohérent et avoué) de normes.

0.4.3 Normes dont l'ampleur varie selon le genre d'histoire
0.4.3.1 [Les normes varient selon les sujets traités en histoire]

Il y a toute une gamme dans l'importance des sujets traités en histoire. L'anecdote de petite histoire, le récit de bataille, d'une exploration... une biographie, l'histoire d'une guerre, l'histoire d'un développement scientifique ou artistique, l'histoire de l'évolution politique, économique ou sociale d'un peuple, etc., ne requièrent pas le même bagage de normes.

0.4.3.2 [Un ensemble de normes très vastes et jamais complètement maîtrisé pour écrire l'histoire des sociétés]

Ainsi, pour écrire l'histoire de la grande évolution politique, économique, sociale et culturelle d'une ou de plusieurs sociétés, l'historien devra s'appuyer non seulement sur la connaissance de l'histoire concrète, singulière, des autres sociétés, mais aussi constamment faire appel, pour choisir, juger, retenir, coordonner et hiérarchiser les multiples faits, à des conceptions que lui fourniront les sciences politiques, économiques, sociales, la géographie, à tout un ensemble de normes très vaste et jamais complètement maîtrisé. 0.4.4 Les normes l'emportent en excellence sur la méthode

0.4.4.1 [La méthode historique n'est qu'un ensemble de procédés]

La méthode historique n'est qu'un ensemble de procédés, de recettes, de précautions pour aborder, préparer ou présenter un travail d'histoire.

0.4.4.2 [La méthode historique est un instrument indispensable]

C'est un instrument indispensable et qu'on doit manier avec rigueur, comme dans toutes les disciplines à caractère scientifique.

0.4.4.3 [La méthode historique est insuffisante]

Mais à elle seule, la méthode ne donne aucun moyen de juger de la véracité des témoignages, de la valeur des sources et de l'interaction des faits.

0.4.4.4 [La méthode seule ne fournit pas les règles d'appréciation historique]

La méthode proprement dite, au sens restreint du terme, ne saurait fournir les règles pour apprécier l'action des individus et des sociétés.

0.4.4.5 [Le travail historique recourt à des normes qui surpassent les procédés méthodologiques]

On ne parvient à l'acte essentiel du travail historique : le choix des faits, le jugement, l'appréciation, qu'en recourant à des normes dont la valeur, la richesse et la complexité dépassent et déclassent les procédés méthodologiques.

0.4.4.6 [L'accès à la vérité historique ne peut se suffire d'une méthode scientifique]

Il faut écarter l'idée simpliste qu'il existerait une méthode scientifique qui permettrait d'arriver ipso facto à la vérité historique.

0.4.4.7 [Les " sciences annexes ou auxiliaires " sont très importantes pour structurer l'oeuvre]

Rien n'est plus illogique que de ranger dans un chapitre de la " Méthode ", comme éléments subordonnés, sous le titre de " sciences annexes ou auxiliaires ", les importantes connaissances philosophiques, politiques, économiques, sociales, scientifiques, artistiques, etc., dont l'historien se sert pour édifier et équilibrer toute la structure de son oeuvre.

0.4.4.8 [Le caractère scientifique de l'œuvre historique dépend plus des normes que de la méthode]

Dès que l'on s'attaque à un travail d'un peu d'envergure, c'est à ces connaissances ou à ces normes, bien plus qu'à la simple méthode qu'une recherche d'ordre historique doit son caractère scientifique.

0.4.5 Normes inéluctables, dangereuses mais nécessaires
0.4.5.1 [L'historien étudie sous un angle et avec sa mentalité]

On soutient parfois que l'historien ne fait qu'enregistrer, " photographier ". Réponse : on " photographie ", on étudie " sous un angle ". Ce travail se fait à travers un homme, avec sa mentalité.

0.4.5.2 [L'historien doit se servir d'une bonne et juste mesure pour juger les faits]

L'histoire ne serait donc qu'une vue purement individuelle sans valeur pour les autres ? Réponse : il y a du personnel dans tout récit (malgré l'effort pour l'éliminer), mais se servir d'une bonne et juste mesure pour juger les faits augmente le contenu objectif du récit qui n'est pas sans valeur pour les autres.

0.4.5.3 [L'historien peut-il travailler sans idées préconçues ?]

Se servir de normes, n'est-ce pas entretenir des pré-conceptions, être engagé avant l'enquête ? Ne vaudrait-il pas mieux faire table rase, aborder les faits en toute innocence, sans idées préconçues, sans préjugés ?

0.4.5.4 [L'historien doit reconnaître le danger des conceptions préfabriquées inadéquates]

On ne peut nier le danger d'être induit en erreur par des conceptions pré-fabriqués inadéquates, par de fausses normes.

0.4.5.5 [L'historien doit reconnaître que les faits sont nécessairement choisis]

Mais puisque, dès que l'histoire se hausse à un certain niveau, les faits sont nécessairement choisis, coordonnés et présentés en se rapportant à un système (que l'on sache ou non, qu'on le veuille ou non), il n'y a plus qu'à accepter cette servitude inévitable.

0.4.5.6 [L'historien doit se tenir prêt à corriger ses normes]

Il faut en reconnaître les dangers et se tenir prêt à corriger, à assouplir ses normes quand la réalité vient les démentir.

0.4.5.7 [L'historien ne doit pas obéir aveuglément à un système empirique bâti au hasard]

Ignorer cet aspect du métier d'historien ou le mépriser sous prétexte de rester libre, ce serait donner libre cours à la fantaisie ou obéir aveuglément à un système empirique, bâti spontanément, inconsciemment et au hasard. Ce serait, sous prétexte de se réserver pour mieux atteindre l'objectivité, donner dans l'arbitraire ou le plus irraisonné des subjectivismes. Ce serait s'exposer à classer et juger les événements dans l'incohérence.

0.4.6 Origine des normes
0.4.6.1 [N'est pas dans les idées innées]

Elles ne sont pas idées innées ; elles ne sont pas tombées du ciel.

0.4.6.2 [Un cheminement entre observation et synthèse d'où sort un système]

Une première analyse ou observation mène premièrement à une première synthèse d'où sort un premier système très primitif de compilation, de constances, de normes.

0.4.6.3 [De l'observation de l'agir humain et de synthèses multiples]

Les normes sont le fruit d'observations et de synthèses multiples. Elles sont comme des lois de l'agir humain tirées de l'observation des faits.

0.4.6.4 [D'un perfectionnement causé par la circularité de la pensée entre les observations et le récit]

Les normes sont perfectionnées par les observations et le récit et vice versa.

0.4.7 L'historien devant les normes
0.4.7.1 [Dois prendre conscience de ses normes]

L'historien se trouve dans la plus stricte obligation de prendre conscience de l'emploi inévitable des normes.

0.4.7.2 [Dois admettre que son récit obéit à une échelle de valeurs]

Il aura la lucidité d'admettre que son récit obéit à une échelle de valeurs.

0.4.7.3 [Dois mesurer l'utilité et les dangers des normes]

Il aura à mesurer l'utilité mais aussi les dangers de cet instrument de travail.

0.4.7.4 [Dois sans cesse retravailler ses normes en fonction du genre d'histoire pratiqué]

Il lui faudra donc clarifier, critiquer, réviser et perfectionner sans cesse les normes réclamées par le genre d'histoire qu'il pratique.

0.4.7.5 [Dois surveiller et mettre au point constamment ses normes]

Cet effort pour surveiller et pour mettre au point les définitions, les conceptions, les normes qui servent de critère, constitue un élément essentiel de la discipline historique.

0.4.7.3 [Dois surveiller ses normes, car elles sont aussi importantes que la méthode historique]

Surveiller ses normes est, pour l'historien, aussi important que de dépouiller méthodiquement les sources et accumuler les informations.

0.4.8 Normes implicites ou explicites ?
0.4.8.1 [Les normes doivent-elles être explicites ?]

L'historien doit-il exposer ses normes ?

0.4.8.2 [Dans certains cas, c'est inutile de les expliciter]

Lorsque les normes mises en cause dans tel récit historique sont généralement admises, sans ambiguïté, ce serait inutile et même agaçant de les expliciter.

0.4.8.3 [Dans d'autres cas, c'est nécessaire de les exposer]

Mais il peut devenir nécessaire de présenter explicitement les normes qui ont décidé du sujet, qui ont présidé au choix des sources, qui ont servi à la critique des faits et à la reconstruction historique.

0.4.8.4 [En cas de controverse, l'historien a intérêt à discuter ses normes]

S'il y a controverse et si cette controverse provient, avant tout, des divergences concernant les rapports à établir entre les données ou les faits, l'historien aura alors tout intérêt à discuter ouvertement ses définitions et son échelle de valeurs ou ses critères selon lesquels il a choisi et ordonné les faits.

0.4.8.5 [Les normes sont aussi importantes que l'appareil scientifique]

Ces précisions de la part de l'historien sont, pour le moins, aussi scientifiques que les renvois aux sources qui ont fourni les faits bruts (renvois infrapaginaux ou à la fin de l'article ou du chapitre).

0.4.8.6 [Par ses normes, l'historien indique là où il loge]

L'auteur, l'historien indique ouvertement où il loge ; quelle est sa façon, à lui, de concevoir les rapports entre les événements.

0.4.8.7 [Le lecteur peut mieux juger le travail de l'historien]

Et le lecteur est à même de juger plus facilement des facteurs déterminant l'interprétation ou le récit des faits que l'historien tente de lui présenter comme s'approchant de l'objectivité.

0.4.8.8 [Les normes peuvent faire un tout séparé, être présentées en bloc]

Cet exposé des normes (quand il est nécessaire) peut se présenter séparément et méthodiquement, en bloc, comme introduction au récit historique, si l'on a besoin de normes dès le point de départ du récit ;

0.4.8.9 [Les normes peuvent s'intercaler au récit selon le besoin]

ou bien on peut intercaler les normes dans le récit à mesure que le besoin s'en fait sentir.

0.4.9 Le lecteur ou l'auditeur devant les normes

0.4.9.1 [Découvrir les normes de l'historien]

Le lecteur averti se doit de découvrir les normes de l'historien si elles sont implicites ;

0.4.9.2 [En prendre connaissance si elles sont explicitées]

ou il se doit d'en prendre connaissance si l'historien les a explicitées,

0.4.9.3 [Savoir les contrôler ou les critiquer]

afin de les contrôler et de les critiquer, au même titre que les faits bruts et les indications de provenance.

 


Page d'accueil    Commentaires  Haut