Rond-Point Histoire Débat sur l'historiographie Michel Brunet contre Lionel Groulx


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Deux hommes, deux générations et deux conceptions de l'histoire

La glose historiographique actuelle, au Québec, s'embourbe dans de nombreuses discussions et d'interminables digressions qui n'éclairent plus le cheminement des historiens eux-mêmes. Elle est devenue un débat idéologique où les partisans de la « moyenne » histoire s'en prennent à tous ceux qui ont désiré ou voulu faire de la « grande » histoire. Les tenants de la « moyenne » histoire prétendent faire le récit des faits tels qu'ils se sont passés. Leur projet, bien qu'ambitieux, se veut objectif. En revanche, les spécialistes de la grande histoire sont ambitieux quant à leurs projets de recherches historiques mais ils ne revendiquent pas nécessairement l'objectivité de leurs conclusions. Ils plaident plutôt en faveur de la lucidité. Ils admettent généralement la subjectivité de leur connaissance et de ses dérivés intellectuels. Ils portent une attention particulière à leurs démarches de vérification et de contrôle des hypothèses tout comme ils se soucient des méthodes de critique des sources permettant l'investigation d'une question ou d'un problème à résoudre.

Brunet a reçu sa formation d'historien aux États-Unis ; le chanoine Groulx est un autodidacte. Brunet est un pédagogue laïc et un spécialiste de l'histoire américaine et surtout des États-Unis ; Groulx est un prêtre-éducateur et un spécialiste de l'histoire du Canada français ; Brunet, comme canadien-français, a toujours voulu se mettre au service de sa propre collectivité comme intellectuel, historien et citoyen ; Groulx a mis toutes ses énergies à défendre « le petit peuple » auquel il appartenait de toutes ses fibres ; Brunet pratiquait une histoire iconoclaste qui se voulait rigoureuse ; Groulx, orateur et rhéteur, cultivait une histoire prometteuse d'avenir pour les Canadiens-Français ; Brunet défendait l'État du Québec dans l'union canadienne qu'il opposait à l'unité canadienne ; Groulx s'accommodait du fédéralisme canadien et de l'autonomie provinciale ; Brunet annonçait l'histoire de demain ; Groulx honorait le passé de nos pères.

En résumant considérablement, la génération de Lionel Groulx est celle du Québec agricole, de l'attraction industrielle américaine, de la période de l'influence considérable de l'Église catholique au Québec, des conflits entre les Canadiens (français) et les Anglais (ou Canadians) et de l'histoire providentielle. Sans vouloir tomber dans le panneau des contrastes excessifs, la génération de Michel Brunet se distancie quelque peu de l'Église catholique, se veut plus laïque, exprime plus son insatisfaction à l'égard du Canada de « nos pères », lutte plus farouchement en faveur de l'État du Québec et souhaitent des changements socio-écono-politico-culturels plus profonds et plus radicaux pour la société québécoise. Cette génération appelle la modernisation du Québec dans tous les domaines d'activités individuelles et collectives avec l'aide massive de l'État.

Si l'on réduit à leurs plus simples expressions les discours de Groulx et de Brunet, ils correspondent, en fin de compte, à des visions opposées du passé. En gros, l'un donne une histoire optimiste ; l'autre une histoire pessimiste. La vision optimiste voudrait que nos Pères aient bâti ce pays, le Canada, qui est le nôtre tout autant que celui des Anglo-canadiens. La vision pessimiste, par contre, considère que nos Pères ont été soumis à l'occupation et à la domination d'un Conquérant : l'Anglais. Ce pays qui est le Canada d'aujourd'hui n'est pas le nôtre, mais celui des Canadians ou des British Americans.

Pour le chanoine Lionel Groulx, l'appel à la jeunesse vient de la « voix de millions d'ancêtres ». La tradition canadienne-française et catholique doit jalonner notre action. « Et c'est pourquoi il nous faut des hommes assez libres et assez courageux pour empêcher ces violations de droit et de conscience. » De son côté, Michel Brunet appelle au réalisme historique et politique. Nous sommes une minorité dans un royaume anglais qui est supporté par « une véritable Nation-État ». S'ils ne veulent pas être assimilés, les Canadiens français doivent « se donner enfin les cadres politiques et économiques indispensables à toute nationalité qui veut se perpétuer ».


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